ALBA contre ALCA
(Sources : ALAI – FDCL Berlin)
Libérer Ingrid sans oublier les 4 millions de déplacés. (Déc.07)
(Source : article de François Houtart, prêtre et sociologue belge,
secrétaire exécutif du Forum Mondial des Alternatives – 17 / 12 / 2007 – Trad. B. Fieux)
Banco del Sur : un projet qui marque un changement sur le
continent. (APM-REBELION)
Venezuela : Chávez reconnaît la défaite du 2 décembre. (ALAI REBELION)
ALBA contre ALCA
C’est en décembre 2004 que Hugo Chávez et Fidel Castro lancèrent cette initiative : les Alternatives Bolivariennes pour les Amériques (ALBA), grand exemple de commerce équitable que le Forum Mondial prêchait depuis plusieurs années. Chaque pays apporte ce qu’il possède: par exemple du pétrole venezuelien, non pas au prix du marché mais en échange de la seule chose que Cuba peut donner : le meilleur personnel en santé publique, éducation et sport.Un an plus tard Evo Morales arrivait au pouvoir et en avril 2006, la Bolivie adhérait à l’ALBA. Puis en janvier 2007 Daniel Ortega était élu président et le Nicaragua adhérait à son tour. Aux réunions assistaient également des observateurs, les gouvernements d’Haïti et de l’Equateur, dont l’adhésion n’était qu’une question de temps.
L’ALBA ne contient pas de programme type, mais des principes qui sont mis en œuvre de manière diverse dans les différentes coopérations entre Etats :
– A la différence de l’ALCA (Accord de Libre Commerce des Amériques) qui priorise la libéralisation du commerce et des investissements, l’ALBA donne à la lutte contre la pauvreté et l’exlusion sociale une place centrale.
– Une grande importance est accordée aux droits humains, aux droits du travail, aux droits des femmes, ainsi qu’à la protection de l’environnement.
– L’agriculture occupe une place importante et les pays en développement veulent protéger leur agriculture paysanne. Des millions de personnes de la campagne seraient fragilisées si elles étaient submergées par l’importation de produits agricoles.
– L’ALBA veut aussi combattre les causes des blocages de l’intégration : la pauvreté, les échanges inéquitables, le poids de dettes impossibles à payer, l’imposition de programmes d’ajustement et de règles commerciales rigides, la monopolisation des médias, les obstacles au transfert de savoirs et de technologies.
– L’ALBA s’oppose aux prétendues “ réformes ” qui visent à la dérégulation et à la privatisation des services publics. Il faudrait renforcer l’Etat avec la participation des citoyens aux affaires publiques. Ce sont les interventions de l’Etat qui sont nécessaires pour diminuer les disparités entre pays. La libre concurrence entre partenaires inégaux ne profite qu’aux forts.
Finalement les principes directeurs se résument à “ Coopération, Solidarité et Complémentarité ”. Les pays les moins avancés devraient, par leur participation à l’ALBA, améliorer leur capacité de production et réduire l’écart qui les sépare des économies avancées de la région.
L’ALBA doit montrer que c’est par des échanges entre les nécessités et les possibilités des peuples que l’on en vient à éliminer l’analphabétisme, à fortifier l’agriculture familiale et la sécurité alimentaire, en bref, à poser les besoins de la population au-dessus des mécanismes du marché et de l’accumulation du capital.
Les pays d’Amérique Latine signataires de l’ALBA ont privilégié l’intégration régionale : Venezuela, Cuba, Bolivie, Equateur, Nicaragua. D’autres ont signé avec les Etats-Unis le traité de libre échange : Mexique, Chili, Colombie, Pérou. Enfin certains, tout en recherchant l’intégration régionale, maintiennent le modèle économique néolibéral : Brésil, Argentine, Uruguay.
Ce processus, qui affaiblit l’hégémonie des Etats-Unis, est né en Amérique Latine parce que ce continent avait été le laboratoire privilégié des expériences néolibérales. C’est ici que l’on a développé le plus les expériences néolibérales, et aussi que se sont produites les grandes crises néolibérales : le Mexique en 1994, le Brésil en 1999, l’Argentine en 2002.
Libérer Ingrid sans oublier les 4 millions de déplacés. (Déc.07)
L’opinion mondiale se préoccupe, avec raison, de la libération d’Ingrid Bétancourt, ex-candidate à la présidence de la république, de nationalité franco-colombienne, mais accorde peu d’attention au phénomène massif des déplacements forcés en Colombie. Cependant, après le Soudan (Darfour) et la Somalie, la Colombie est le pays le plus affecté par ce fléau qualifié par les Nations Unies de crime contre l’humanité.
Récemment un tribunal d’opinion, que j’ai eu le privilège de présider, s’est tenu au Congrès colombien, en collaboration avec la Commission des Droits Humains du Sénat. Préparé par cinq sessions régionales et une abondante documentation, le travail du tribunal a pu établir le caractère dramatique et massif de cette situation qui affecte un Colombien sur huit. Les témoignages provenaient en majeure partie des zones rurales : paysans, communautés indigènes et afro-descendants. Si le conflit armé explique en partie ces situations, la cause la plus fréquente, – et de loin -, est le processus de concentration des terres dans les mains de grands propriétaires et d’entreprises nationales et transnationales, comme la compagnie minière Anglogold Ashanti, les pétrolières Repsol, BP et Petrocabada, et les compagnies des plantations de palme pour les agrocarburants comme Urapalma, mais aussi la bananière Chiquita Brands. Ceci s’est réalisé avec l’aide de l’armée, des paramilitaires et des sociétés privées de sécurité (comme en Irak).
La violence du processus est terrible. J’ai pu le vérifier dans le Chocó. Aux paysans qui refusaient de céder leurs terres on disait : “ Si vous refusez, nous négocierons avec vos veuves ”, et de nombreuses exécutions ont eu lieu. Les membres du tribunal et le président de l’association des déplacés ont été menacés de mort par le groupe paramilitaire Aguilas Negras.
Selon le verdict du tribunal, il s’agit d’une crise structurelle. Depuis le milieu des années 80, les narcotrafiquants ont décidé d’apporter leurs devises au pays et de les blanchir en achetant de grandes étendues des meilleures terres. Les cartels du narcotrafic avec les secteurs de l’oligarchie, de la classe politique et des forces militaires ont créé une nouvelle version du paramilitarisme, sous prétexte de lutter contre les insurgés. De cette manière s’est forgée une alliance au moyen de laquelle les paramilitaires éliminaient les membres des partis politiques de gauche de l’opposition (Union Patriotique) et les mouvements civiques qui réclamaient de meilleures conditions de vie. En contre-partie, l’establishment leur permettait de continuer leurs activités illicites, lesquelles à leur tour finançaient le pouvoir politique. L’appropriation illicite de terres permettait non seulement une forte concentration inéquitable, mais aussi une transformation de leur utilisation. De grandes étendues aptes à l’agriculture et des forêts furent vouées à l’élevage.
Les déplacements connurent un nouvel accroissement durant la première moitié de la décennie 90 avec l’essor des politiques néolibérales qui facilitaient l’accès aux investissements des transnationales. De grandes entreprises obtinrent la voie libre pour progresser dans l’appropriation des terres où allaient s’effectuer les méga-projets d’investissement : agricole, industriel, minier, portuaire, touristique, routier…
Le Plan Colombie 1997, stratégie militaire financée par les Etats-Unis sous prétexte de contre-carrer les avancées des guérillas, avait en réalité pour but de contrôler les pouvoirs politique et économique dans des régions déterminées du pays. Le nombre de déplacés augmenta. Bombardements indiscriminés, captures massives, criminalisation des mouvements sociaux, forte présence militaire dans certaines régions expliquent cette augmentation . Si les chiffres ont relativement diminué ces dernières années, c’est parce qu’il existe des zones dépeuplées disponibles et d’immenses étendues de terres déjà désertées. Parallèlement, le gouvernement colombien soutient une législation qui prétend légaliser les spoliations et tolérer l’impunité pour les crimes commis. (Statut de Développement Rural, Loi de Justice et Paix, Loi sur les Terres, les Mines, le Pétrole, etc.)
Le verdict du Tribunal accuse trois groupes d’acteurs : le gouvernement colombien pour sa politique d’Etat, les grands propriétaires et les entreprises nationales et transnationales impliqués dans ce modèle de “ croissance économique ”, et les gouvernements étrangers qui appuient directement ou indirectement la Colombie : les Etats-Unis pour leur aide économique et militaire, l’Union européenne pour ses programmes d’assistance et divers gouvernements qui soutiennent leurs entreprises dans le pays, comme le Canada, la Grande Bretagne, la Suisse et la France.
Le Président Uribe a présenté sa solution au cours d’une réunion avec les membres au Parlement latinoaméricain, le jour même de la proclamation du verdict du tribunal et dans le Congrès même. Les problèmes seront résolus au cas par cas, ce qui individualise une situation qui est structurelle et qui marginalise les mouvements sociaux ; de plus il s’agira d’un processus administratif et non judiciaire, ce qui implique l’impunité pour ceux qui verront leurs nouvelles propriétés légalisées par une série de dispositions.
Alors, oui, il faut libérer Ingrid Betancourt, et tout de suite. Mais la communauté internationale doit aussi se préoccuper des 4 millions de Colombiens qui n’ont pas de nom.
Banco del Sur : un projet qui marque un changement sur le continent.
Le 10 décembre, sept présidents ont lancé officiellement cette entité financière régionale, la « Banque du Sud ». Pour ces pays du Cône Sud : Argentine, Paraguay, Venezuela, Bolivie, Equateur, Brésil, Uruguay, cette banque concrétise l¹autonomie financière régionale, face au FMI et à la Banque Mondiale, structures aux mains des grandes puissances. Les ministres
de l’Economie et des Finances de chaque pays auront ensuite deux mois pour régler les détails de fonctionnement, et d’abord : combien chaque pays apportera-t-il au départ et quel sera le capital initial de l’entité. Dans cette banque autonome qui défendra les intérêts sud américains, chaque nation participante aura un statut identique dans le Conseil d’Administration.
La Banco del Sur ne sera pas une structure purement bureaucratique, elle aura pour mission de financer le développement de la région dans des secteurs clés de l’économie. Elle accordera des crédits sans dépendre des organismes internationaux. A la différence des banques nationales, la Banco del Sur n’accordera pas des prêts directement aux entreprises, elle financera des projets présentés par les pays. Les projets financiables devront être orientés vers le développement productif, l’infrastructure et l’action sociale. Le ministre des Finances de Bolivie mentionne par exemple que son pays nécessite des fonds pour développer les compagnies minières et autres projets énergétiques : » Pour nous c’est une opportunité étant donné qu’après avoir bénéficié d’annulations de dettes, les portes nous seraient fermées pour accéder à des crédits à long terme « .
Venezuela : Chávez reconnaît la défaite du 2 décembre.
1,4 % des voix ont fait que c’est le NON qui l’a emporté au référendum. Les médias internationaux n’ont cessé de désinformer sur le Venezuela. Il ne s’agissait pas de voter pour ou contre » Chávez président à vie « , mais de voter pour ou contre une série de modifications apportées à la Constitution. Ces modifications avaient été acceptées par l’Assemblée Nationale mais pour qu’elles entrent en vigueur, il fallait les faire approuver par la majorité simple du référendum. Ces changements paraissaient nécessaires pour orienter la transition vers une » république socialiste « .
La victoire du NON ne signifie pas une augmentation notable du score de l’opposition, – qui représente environ 37 % de la population -, mais une abstention significative des voix qui avaient voté précédemment en faveur de Chávez ( 3 millions, 44,9 % d¹abstentions).
Quels facteurs expliquent cette abstention ?
* La manipulation orchestrée par les multis : les tracts distribués aux gens pour diaboliser le socialisme ( » Si vous êtes une mère, vous perdrez : vous perdrez votre maison, votre famille, vos enfants appartiendront à l’Etat ».) Méthodes déjà employées en 1973 au Chili.
* La télévision, aux mains des milliardaires venezueliens, a joué à fond sur cette peur du communisme matraquée depuis des années. Les médias de la révolution n’ont pas encore trouvé la parade au bourrage de crâne des médias de l’élite et de l’empire.
* L’indécision de certains » chavistes » face aux changements proposés par le président dans la structure administrative du pays et les possibilités de sa réélection.
* La bureaucratie et la corruption, qui sont présentes ici comme partout en Amérique Latine, et que l’opposition a exploitées à fond.