Selon l’ONU, l’Amérique Centrale est la région la plus violente du monde. Conflits armés non résolus, conditions de travail inhumaines dans les multinationales, trafic de drogues et de personnes, corruption, spoliation des ressources naturelles, énormes inégalités, patriarcat féroce, sont quelques-uns des facteurs qui ont généré le phénomène des “ pandillas ” connues sous le nom de “ maras ” au Salvador.
Depuis le génocide de la “ découverte ” bien mal nommée, jusqu’à l’instauration de l’actuel néolibéralisme, l’Amérique Centrale et en particulier le triangle qui comprend Guatemala – Honduras – El Salvador a souffert l’indicible et il n’est pas étonnant que des phénomènes ultra-violents aient surgi dans cette région et en ce moment, comme celui des “ maras ”(bandes de jeunes avec des structures de crime organisé).Avec l’arrivée des guerres dans les années 80, les enfants, les survivants, tous ceux qui le pouvaient cherchèrent refuge aux Etats-Unis, surtout en Californie, et dans la grande ville de Los Angeles. Là-bas, dépouillés de leur identité et arrachés au milieu rural, ils se transformèrent en adolescents urbains, aux maigres perspectives de futur et sans aucun type de traitement psycho-social.
A l’ombre d’un garage, tout près d’un lampadaire, et sous la plaque qui porte le nom de la rue, ils ont créé le “ groupe ”, le clan qui leur donnerait le sentiment d’appartenance et de protection auquel ils aspiraient. Pour se définir, pas besoin de réfléchir beaucoup : le nom de la pandilla, de la “ mara ” serait celui de l’enseigne qui donnait son nom à la ruelle, et leur loi serait, évidemment, celle de la rue.
Ainsi, ces gamins expulsés de leur pays finiraient par se convertir en structures de crime organisé. Mais pourquoi cette violence démesurée ? Comment se forge et grandit de manière implacable cette sous-culture d’adoration du sinistre ? Les tatouages aux symboles sataniques, les codes diaboliques, la mythification de la mort, sont représentés de manière désaxée dans leur contexte collectif.
Pour José Henríquez, ex-membre de “ La 18 ”, la réponse est “ dans la politique antiterroriste ou contre-révolutionnaire pratiquée dans les conflits.… Le fait de mettre en pièces des corps, de leur arracher la tête, de les démembrer, de manière si terrible, c’était ce que les militaires faisaient durant les rafles contre la guérilla dans les années 80. ” Henríquez se réfère à ce que les soldats guatémaltèques, honduriens et salvadoriens (parmi d’autres) apprenaient à l’Ecole des Amériques, centre d’instruction militaire avec un siège aux Etats-Unis et au Panama, créé pour entrainer les troupes des dictatures imposées par la CIA dans la quasi totalité de l’Amérique Latine. Dans cette institution on enseignait les techniques d’interrogatoires et les “ méthodes coercitives ou persuasives ” conçues spécialement pour la population civile.
Mauricio Funes, actuel président du Salvador, signalait quand il travaillait comme jounaliste, que “ les maras s’alimentent des jeunes que les familles déstructurées ne parviennent pas à protéger. ” La pandilla, “ clique ” ou “ mara ” est un élément de cohésion, qui leur donne une appartenance, un enracinement et une importance. La “ mara ” reconnaît la personne du barrio, l’Etat pas encore. La “ mara ” apporte un semblant de sécurité à l’individu, l’Etat même pas l’illusion de sécurité. L’échec de l’Etat est assumé par la pandilla, qui sans problèmes applique paradoxalement la même règle que les éducateurs sociaux : “ Leur passé ne nous importe pas, c’est leur futur qui compte ”.
Dans les cités de San Salvador, Guatemala ou Tegucigalpa où la pauvreté est effrayante, pratiquement chaque activité économique de petite ou moyenne envergure contribue à “ l’impôt de guerre ”. Taxis et bus, commerces de meubles ou restauration ambulante, tous paient leur impôt à la “ mara ”. Mario, un jeune taxiste salvadorien se plaint : “ ils demandent dix dollars par taxi chaque semaine. Nous sommes des milliers, rien qu’ici au Salvador, faites un peu le compte des milliers de dollars que ces “ hijos de puta ” nous extorquent. ”
Le processus de recouvrement est simple :“ Ils envoient des gamins très jeunes ou des femmes porter la “ facture ”. Dès réception le chef de notre station de taxis verse l’argent, et on recommence la semaine suivante. Mais il se produit des cas où, après avoir payé pour la “ M 18 ”, tu reçois un ultimatum de la “ MS ”. Là tu es mal barré. Parce qu’il existe une guerre tenace entre ces deux maras. ” Mario se réfère aux rivalités territoriales qui existent entre les différentes pandillas, et qui bien souvent coûtent la vie à des citoyens ordinaires victimes d’extorsion au milieu des affrontements.
Mais comment cela peut-il se produire sans que la police ou l’armée réussisse à les désorganiser ? Selon Dick Emanuelsson, journaliste suédois avec trente ans d’expérience dans la région, “ évidemment il y a la corruption et des partisans de la Mara parmi les forces de l’ordre, mais aussi il faut tenir compte que l’insécurité joue en faveur de celui qui domine, ” et ceux qui dominent ce sont l’oligarchie, la classe politique traditionnelle, la force publique et les entreprises multinationales.
Emanuel et sa femme Miriam savent de quoi ils parlent. En 2005 le couple dut s’enfuir de Colombie pour sauver leur vie après la dénonciation d’un narcotrafiquant mêlé à la politique d’Alvaro Uribe avec les groupes paramilitaires. Actuellement, ils vivent avec les secteurs populaires d’une humble colonie située dans les alentours de Tegucigalpa.
Pour ce journaliste et pour la quasi totalité des organisations de défense des droits humains, la violence a augmenté, ici et dans les pays voisins, depuis que les putchistes ont usurpé le pouvoir au Honduras. “ La violence envers les femmes a augmenté. La pauvreté a augmenté. Les assassinats de syndicalistes ont augmenté. La corruption s’est accrue. Depuis le coup d’Etat au Honduras, tout a empiré, même si on n’en parle pas à l’extérieur. ”
La violence en Amérique Centrale a aussi un autre visage dont les grands médias ne parlent pas. Il s’agit des entreprises multinationales qui opèrent dans la région. Depuis l’arrivée des entreprises bananières au Guatemala dans les années 50, des corporations du monde entier portent atteinte à l’environnement, privatisent les ressources naturelles et exploitent les travailleurs, surtout des femmes. Selon Sandra, féministe salvadorienne, “ la violence ici a des formes multiples. Le machisme et le trafic de femmes pour la prostitution sont ce qui est le plus visible et médiatique, mais aussi le système économique dans lequel nous vivons. Seulement les médias n’aiment pas en parler : ça signifierait ouvrir le débat sur le système et il est plus simple de tout “ mettre sur le dos ” du machisme. ”
Jessica, militante du FNRP (Front Nationale de Résistance Populaire) au Honduras, déclare : “ Avoir en face de moi un militaire armé défendant le système de l’oligarchie, c’est pour moi l’expression maximale de la violence dont nous souffrons, nous les femmes d’Amérique Centrale : le capitalisme + le patriarcat. ”
Pour son compagnon, “ la violence est étroitement liée aux inégalités : beaucoup d’argent dans peu de mains, et beaucoup de mains avec peu d’argent ”. Il faut obtenir plus de ressources en prévention, (éducation, santé, travail…) Cela nécessite d’augmenter les impôts à ceux qui vivent dans le luxe ; l’immense majorité de la population gagne si peu qu’on ne peut rien lui demander. La petite classe moyenne
survit et ne peut pas épargner.
Dans les zones urbaines, la force publique rivalise avec les “ maras ” pour s’approprier le monopole de la violence , et l’oligarchie qui privatise les espaces publics se dispute avec les narcos les fincas ou les plages qui servent de route pour la coca. Edwin, chauffeur routier, dit qu’en traversant le Guatemala et le Salvador, il est facile de voir que “ les causes des guerres sont toujours présentes et même elles se sont aggravées. Les conflits ont été pacifiés mais pas résolus… ”
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