(Interview par Sergio Ferrari de Francesco Ceppi, médecin de “ Medico internacionalista ” qui évalue l’action de la communauté internationale.) (www.rebelion.org)
Même si les récentes élections ont concentré l’attention sur Haïti en donnant l’image d’un pays “ normalisé politiquement ”, les traces sociales et humaines du tremblement de terre du 12 janvier 2010 n’en finissent pas de cicatriser. “ L’aide internationale manque d’un “ plan global ” et paie le prix d’un “ Etat fragile ”, signale le médecin suisse Francesco Ceppi, coopérant dans plusieurs pays du Sud, qui revient d’Haïti où il a travaillé durant 5 mois.
Il s’est écoulé plus d’un an depuis le tremblement de terre dévastateur. Que pensez-vous de la coopération internationale ?
Le grand problème en Haïti c’est la faiblesse de l’Etat. L’aide d’urgence, l’une des plus importantes que l’on ait connue dans l’histoire contemporaine, s’est convertie en aide structurelle. Elle se substitue bien souvent au pouvoir politique et conduit à une perte de la responsabilité citoyenne collective. Avec ce facteur aggravant : les systèmes éducatif et de santé sont privés à 90 %. Le pays n’a pas de ressources publiques pour faire fonctionner son Etat. Haïti vit donc de l’influence significative de la communauté internationale, des ONG, de la charité… Des aides qui souffrent d’un grand problème de base : elles n’ont aucun plan global et sont très peu supervisées par le fragile Etat haïtien. On vit un grand paradoxe : la communauté internationale a le sentiment de devoir refaire chaque jour ce qu’elle a déjà fait la veille.…
Si vous deviez malgré tout identifier les aspects positifs de cette coopération ?
On a créé dès le début des systèmes de coordination entre les différentes ONG de chaque région. Ceux-ci se mettent en place à travers les réunions des acteurs présents dans chaque zone et dans les différents secteurs d’intervention : santé, éducation, logistique, eau, assainissement, etc. Cette coordination a permis une meilleure distribution des ressources et une meilleure réponse aux besoins.
Si je devais souligner un fait significatif, et peut-être ce qui m’a le plus impressionné dans mon séjour en Haïti, c’est la présence et le travail de la Brigade Cubaine. Il ne s’agit pas d’une ONG, ni d’institutions internationales, mais d’une coopération d’Etat à Etat. Sans oublier qu’il y a, à l’arrière-plan, une histoire qui remonte à bien avant le séisme, mais qui s’est accentuée et consolidée après celui-ci. Les hôpitaux appuyés par cette coopération intègrent autant de personnel local que cubain. Ils sont très fonctionnels et fournissent des soins médicaux d’excellente qualité compte tenu de la réalité du pays. Le personnel cubain reçoit une rémunération dérisoire, comparée aux salaires parfois excessifs de nombreux coopérants. Il ne dispose pas non plus de grandes commodités, de transport avec chauffeur, de logements avec personnel de service. Les Cubains ont l’habitude de rester deux ans dans le pays, un temps qui assure une continuité dans le travail et facilite l’apprentissage de la langue locale.
Pourtant, bien souvent on n’entend pas parler de cette coopération inter-caribéenne…
Parce qu’elle ne dispose pas de la même force médiatique que les grandes machines humanitaires européennes et étatsuniennes. Pour moi, les Cubains sont les vrais humanitaires : humbles et grands travailleurs qui ont pour unique objectif de renforcer le faible Etat haïtien en se mettant à son service. Sans oublier aussi que Cuba a formé plus de 500 médecins haïtiens à La Havane. Avec la triste constatation que la moitié de ceux-ci après avoir réussi leur formation de haut niveau professionnel, au lieu de travailler en Haïti, émigrent aux Etats-Unis, au Canada ou en France..…
Et si on tentait d’identifier les aspects les plus déficients de la coopération ?
Ce que je trouve le plus négatif c’est que la majorité des projets se sont réalisés parce qu’il existe de grands moyens à disposition et qu’il était nécessaire d’en faire quelque chose. Je pense que la méthodologie devrait être différente, pour ne pas dire inverse : selon les besoins sur le terrain, les projets s’élaborent et ensuite on cherche les fonds pour les financer. Fin 2010 la majorité des ONG se demandait comment utiliser la grande quantité d’argent qu’il leur restait avant de finaliser le bilan annuel, étant donné que la majorité des fonds reçus étaient destinés à des projets d’urgence, à court terme. Paradoxalement, l’épidémie de choléra a permis à la majorité des ONG de pouvoir créer de nouveaux projets et a justifié le budget exagéré de la coopération pour l’année 2010.
Pouvez-vous évaluer l’impact direct de la coopération suisse ?
J’ai eu la chance de participer à un projet très intéressant : la construction et le fonctionnement du Centre de Traitement du Choléra (CTC) de Grand-Goâve, à 50 km au sud de la capitale Port-au-Prince. Ce fut le résultat de la collaboration entre ONG suisses comme Médecins du Monde (MdM), Terre des Hommes-Lausanne, avec l’Agence suisse pour le Développement et la Coopération (COSUDE), la Croix Rouge helvétique et quelque ONG internationales comme Oxfam et Handicap International.
Un projet très intéressant, sans aucune lutte pour le leadership. Et avec l’unique objectif de construire rapidement le Centre et de le faire fonctionner le plus tôt possible. Nous avons réussi à le construire en dix jours avec cette participation commune et solidaire.
La coordination pour le fonctionnement est intéressante aussi : la majorité du personnel était locale et dépendait de Médecins du Monde-Suisse. Le personnel expatrié responsable de la coordination et de la supervision venait des rangs de la Croix Rouge helvétique, de COSUDE, de Terre des Hommes-Lausanne, et de MdM. Un phénomène assez rare, qui a démontré que la collaboration est possible si l’objectif principal est le développement et non les intérêts particuliers ou le prestige individuel de chaque institution participante.
En général, la coopération suisse rencontre les mêmes difficultés que les autres acteurs internationaux. Elle dispose d’un grand capital pour la reconstruction du pays, mais elle se heurte à la réalité complexe de la difficulté de reconstruire en Haïti. Par exemple, la majorité des écoles sont privées, donc elles n’entrent pas dans les critères de subvention. Et la reconstruction des hôpitaux est difficile parce que le Ministère de la Santé retarde les processus d’autorisation ou ne donne pas de garantie sur le fonctionnement de la structure une fois que celle-ci est sur pied.
Des réflexions après votre expérience en Haïti ?
Ce qui m’attriste, c’est que l’opinion publique ne cesse de définir Haïti comme l’un des pires pays du monde, mais personne n’essaie de comprenre les causes de cette situation.
Je me permets de citer une excellente réflexion de Ricardo Seitenfus qui fut le représentant de l’OEA dans ce pays en 2009-2010. “ Il faut aller vers la culture haïtienne. Je crois qu’il y a trop de médecins au chevet du malade et la majorité de ces médecins sont des économistes. En Haïti on a besoin de sociologues, d’anthropologues, d’historiens, de politologues et de théologiens. Haïti est trop complexe pour les gens pressés. Les coopérants sont pressés. Personne ne prend le temps d’essayer de comprendre ce qu’on pourrait appeler l’âme haïtienne. Les Haïtiens l’ont bien compris, ils nous considèrent, nous la communauté internationale, comme une vache à traire. Ils veulent tirer profit de cette présence et le font avec une maestria extraordinaire. Si les Haïtiens nous considèrent seulement pour l’argent que nous apportons au pays, c’est parce que nous nous sommes présentés ainsi. ”
Dans quelle mesure une expérience professionnelle humaine comme celle-ci a-t-elle un impact direct sur vos choix de travail au retour en Europe ?
Chaque fois que je reviens d’un pays du Sud, j’ai beaucoup de difficultés, surtout pour une question idéologique. En Suisse je suis confronté à des maladies très spécifiques et j’ai à ma disposition des examens, des diagnostics, des traitements très onéreux. Tandis que dans mon travail au Sud, par exemple en Haïti, j’ai travaillé beaucoup avec les enfants dénutris pour lesquels le problème sanitaire est très simple : pouvoir manger pour éviter de mourir.
Avec très peu de ressources on pourrait guérir la plupart des maladies qui sont responsables des taux élevés de morts dans ces pays, comme la diarrhée, les infections respiratoires et la malaria. Alors quand je travaille en Suisse je me sens très égoïste de ne pouvoir partager avec les pays du Sud notre grand potentiel économique utilisé dans le domaine sanitaire.
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