HONDURAS: Une Cité Modèle dans une société en haillons ?

(revue Envío, avril 2011)

Le Honduras sera le laboratoire expérimental des idées extrémistes de l’économiste néolibéral Paul Romer, qui propose d’établir, pour une durée de cent ans ou plus, des espaces économiques, politiques, juridiques et sociaux dans des zones du territoire hondurien, en marge des lois et des autorités nationales. De petits Etats autonomes à  l’intérieur de l’Etat, totalement ouverts à  l’investissement des capitaux multinationaux. “ Ciudad Modelo ” (Cité Modèle) est le nouveau masque de l’enclave. Le Honduras, “ la République bananière ”, connaît bien cette forme d’exploitation des terres, des ressources et des personnes.L’exemple asiatique.
Fin février, une cinquantaine de membres de l’administration hondurienne accompagnait le président Porfirio Lobo dans le sud-est asiatique pour voir de près les expériences réussies en Corée du Sud, à Singapour, Hong Kong ainsi qu’au Koweit. Il s’agissait d’établir des alliances pour la mise en œuvre d’une initiative de l‘économiste étatsunien Paul Romer connue sous le nom de “ Ciudades Modelo ” (Cités Modèles). Un mois plus tôt, les législateurs honduriens, de l’extrême droite putchiste à la prétendue gauche, (dénommée anti-putschiste) avaient approuvé cette initiative.

“ Ciudad Modelo ”
Cité Modèle, ce titre sonne bien. Pour concrétiser ce projet, il faut actualiser la législation, car il s’agit de mettre en place une authentique enclave, avec les lois d’autres pays, avec les lois commerciales des multinationales qui ont besoin d’avoir la voie libre pour fonctionner à plein rendement.
Pour les législateurs, fonctionnaires et chefs d’entreprises honduriens, la Cité Modèle n’est pas quelque chose de vraiment nouveau : c’est une modalité élargie du fonctionnement des maquilas, (usines d’assemblage) qui existent depuis les années 90. Les maquilas, exemptées d’impôts, sont de vrais paradis fiscaux où se pratique la traite des travailleurs. Leur fonctionnement ignore le Code du Travail. On y licencie les ouvrier(e)s de manière arbitraire. Sur ces territoires, les Hondurien(ne)s sont traités comme des animaux domestiques.

Le passé : la “ République  bananière ”
Rien de très nouveau pour  les Honduriens : les compagnies  bananières étaient déjà des enclaves,  avec les maquilas et la restauration rapide. Elles étaient un Etat au sein d’un autre Etat. Et cet autre Etat qui occupait le territoire de l’Etat hondurien finissait par définir la politique, l’économie, la législation et même les coutumes de l’Etat occupé qui fournissait ses services à l’occupant. La caractéristique de cette période fut la consolidation du capital étatsunien dans l’industrie bananière de la Côte Nord, l’intervention croissante des compagnies bananières dans la vie politique nationale et une crise récurrente dans la stabilité du régime politique.

“ Si la Tela était ici !… ”
Dans les plantations de bananiers de la Vallée de Sula (au nord) il n’était pas rare d’entendre : “ Tout irait mieux si la Tela était ici. Avec eux on avait du travail, des écoles, l’électricité, le chemin de fer et même ils nous nettoyaient les patios de nos baraques. ” La Tela, multinationale bananière qui imposa son empire économique de 1912 presque jusqu’à la fin du siècle, prit prétexte de l’ouragan Mitch en 1998 pour abandonner l’investissement bananier. Elle imposait une culture d’enclave : la population dépendait de ses décisions, et celles-ci influaient sur l’élection des autorités municipales, départementales et nationales.

Tout se décidait à La Lima.
Au centre de la Vallée de Sula, La Lima était le siège de la Tela. Les décisions politiques et économiques du pays se prenaient à La Lima. Et tout le monde attendait que les autorités de la Tela se prononcent pour savoir dans quel sens s’orienterait le gouvernement. Tout tournait autour de la Compagnie bananière.
La Compagnie imposait sa manière de voir, d’agir, de décider. Et c’était une reproduction de la vie aux Etats Unis, transférée dans les chaleurs tropicales de notre Côte Nord. Beaucoup de gens de cette région regrettent le temps de la Tela, continuent de vivre dans la nostalgie d’un passé qui, avec le temps, s’est défiguré, faisant apparaître comme générosité ce qui n’était que stricte exploitation, et comme une vie digne les abus patronaux, conséquences d’une société dépendante et d’une économie nationale ayant perdu tout contrôle.

La cerveza (bière) Salvavida.
Les années de 1912 à 1930 furent celles de la consolidation de l’enclave bananière. Entre 1920 et 1930, le Honduras occupait le premier rang au monde comme pays exportateur de bananes. A cette période d’effacement de la souveraineté nationale, surgirent des symboles patriotiques. Par exemple, dans la seconde décennie du 20ème siècle, la bananière étatsunienne Vaccaro Fruit Company commença à diversifier sa production en installant une brasserie à La Ceiba, sur le littoral atlantique. La première bière produite là-bas fut baptisée des initiales des deux chefs d’entreprise, l’un italien et l’autre étatsunien, Salvador Vaccaro et Vicente d’Antoni. La bière s’appela Salvavida. Sur l’étiquette on mit le drapeau  national et aujourd’hui  encore cette bière est un symbole hondurien.

Un morceau du pays pendant un siècle…
Paul Romer, économiste étatsunien, défenseur de la théorie de la croissance, est le protagoniste du projet de Cité Modèle. Il donne comme exemples Hong Kong et Singapour. Pour le Honduras, il propose que l’Etat fasse une concession pour cent ans d’une zone d’environ mille km2 pour une administration autonome. Les Cités Modèles du Honduras seraient “ une zone territoriale régulée par ses propres règles pour attirer l’investissement, générer des emplois et gérer leurs systèmes de santé et d’éducation spécifiques, tout en promouvant le développement technologique de pointe ”.
A Tegucigalpa, Romer présenta son  projet en réunion publique. Derrière lui se trouvait un grand écran avec la photo d’un match de foot. Et il dit : “ Vous ne pouvez pas changer les règles du jeu au milieu du match. Ce qu’il faut faire c’est créer un nouveau terrain de jeu et voir si quelqu’un est intéressé. ”

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