BOLIVIE : La route de la discorde. (octobre- novembre 2012)

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Le confit bolivien du TIPNIS est emblématique. Il nous montre les tensions et les contradictions que peuvent générer des initiatives gouvernementales quand elles affectent des territoires indigènes, – 62 % des Boliviens sont indigènes -, et quand, de plus,  elles sont combattues (ou soutenues) par des organismes extérieurs défendant leurs propres intérêts.

Qu’est-ce que le TIPNIS ?
C’est une zone naturelle protégée située entre la province de Moxos dans le Département du Beni et celle de Chapare dans le département de Cochabamba. Déclarée parc national en 1965, elle est aussi une partie des Terres Communautaires d’Origine. Elle s’étend sur un million deux cent mille hectares, dont un million pour les Terres Communautaires où vivent 64 communautés indigènes ( yurakares, trinitarios, mojeños et  chimanes), soit environ dix mille personnes. Les autres deux cent mille hectares sont occupés par vingt mille familles de paysans « cocaleros », (qui cultivent principalement de la coca).
Le projet qui divise, c’est celui de la construction de la future route Cochabamba-Beni, (306 km) qui devrait traverser le TIPNIS et  relier Villa Tunari à San Ignacio de Moxos. La loi 180 établissait l’intangibilité du TIPNIS. La loi 222 exigeait que le gouvernement organise une consultation préalable des populations concernées… Celle-ci n’a pas eu lieu en temps voulu.
Et les populations concernées ont des avis divergents. Pour certains, cette route serait une bénédiction, et pour d’autres, une catastrophe.

Pour ?
Les arguments pour ou contre la construction de la route se succèdent. Le gouvernement est pour : Cette route facilitera  l’intégration du pays et dynamisera le marché interne. Le tracé a été conçu pour faire communiquer directement les départements de Cochabamba et du Beni : actuellement, pour les transports volumineux  de produits agricoles du Beni dans l’ouest du pays, il faut faire un détour par Santa Cruz, ce qui suppose 800km de plus avec les frais inhérents.
Par ailleurs, la route permettra au gouvernement de satisfaire les demandes des populations du TIPNIS relatives à  l’éducation,  la santé, l’électrification et autres services publics essentiels, y compris l’obtention de papiers nécessaires (identité et autres).

Contre ?
Tout grand projet d’infrastructure  provoque des craintes parmi la population. Une nouvelle route amène une dynamique de développement, mais ici elle permet aussi l’invasion de nouveaux cocaleros, qui sont déjà 20 000 dans cette zone. Elle permettra aussi l’arrivée d’entreprises forestières  pour exploiter les bois de la région, et par la suite le début de l’exploitation des réserves pétrolifères que les prospections ont jugées importantes.

Le front du refus.
Qu’une partie des habitants concernés rejette a priori le projet est compréhensible. De même pour la CIDOB  (Confédération de Peuples Indigènes de l’Orient Bolivien) qui s’aligne sur l’opposition au gouvernement Morales : il n’y a pas eu pas de consultation préalable, donc il y a eu violation des droits des indigènes.
Mais on peut s’interroger sur le comportement d’organisations extérieures à ce conflit, en particulier les organisations « environnementalistes » et les organisations de gauche. Les groupes qui militent pour conserver aux populations leur « mode de vie traditionnel » conçoivent-ils  leur « protection »  en les gardant hermétiquement isolés du reste de la société ?
Il faut dire que l’influence de l’USAID ( la « face visible de la CIA ») dans la région n’est pas innocente. Cette ONG nord-américaine a un rôle très pernicieux, en fournissant aux groupes sociaux des financements généreux, et en favorisant la désinformation, elle les endoctrine pour en faire des opposants aux gouvernements progressistes. ((C’est aussi le cas dans d’autres pays d’Amérique Latine.)  D’autres soutiens proviennent aussi de réseaux médiatiques privés, d’anciens militants de l’oligarchie séparatiste …
Cette route serait financée à 80% par un prêt de la BNDS (Banque Nationale de Développement Economique) du Brésil, et les travaux de construction seraient confiés à une entreprise brésilienne. Ce qui motive le  refus  de certains partis « de gauche », qui  prétendent que cette route ne servira que les intérêts du Brésil, pressé  de s’ouvrir un chemin vers le Pacifique…
Plusieurs marches successives ont été organisées en défense du TIPNIS par les adversaires du projet. Ils ont bénéficié du soutien sans réserve de l’oligarchie de Santa Cruz, qui ne manque pas une occasion de stimuler son opposition à Evo Morales et la subversion des nouvelles  institutions progressistes créées  par le processus. Et l’ambassadeur nord-américain lui-même communique, pendant les marches, avec les leaders du mouvement indigène…

L’opinion de Alvaro García Linera, vice-président, écrivain et sociologue.
Citons ici les paroles de Alvaro García Linera, vice-président de Bolivie et aussi éminent intellectuel de la gauche latino-américaine.
« En Bolivie les principales nations indigènes sont les aymaras et les quechuas,  environ 6 millions de personnes qui vivent surtout sur l’altiplano, les vallées, les zones de yungas. Ils constituent 95 % de la population indigène de Bolivie. Ils nous maintiennent  leur appui.
Les autres nations indigènes sont les guaranis, les mexeños, les yuracares, et d’autres encore qui habitent l’Amazonie, la Chiquitania et le Chaco, les terres basses, et ces populations totalisent au maximum 300 000 habitants. C’est parmi eux que s’est installé le rejet du projet de route. Ils ont été influencés. Quoi que, ces jours derniers, un groupe d’indigènes des basses terres est arrivé à La Paz, demandant la construction de la route à travers le parc car ils ne veulent plus être à l’écart des facilités de transport, de santé, etc.
Au milieu de tout cela, il y a la stratégie de l’oligarchie de Santa Cruz, elle veut empêcher cette route qui détournerait de son contrôle l’activité économique de toute l’Amazonie! C’est aussi l’intérêt des Etats-Unis de considérer l’Amazonie comme leur réservoir d’eau et de biodiversité, et de promouvoir des divisions entre les leaders indigènes pour créer des conditions facilitant l’expulsion des indigènes du pouvoir de l’Etat!
Nous voulons construire cette route pour trois raisons. La première, c’est pour garantir à la  population indigène du Parc l’accès aux droits constitutionnels : de l’eau potable pour que les enfants ne meurent plus d’infections; des écoles avec des professeurs qui enseignent dans leur langue, en préservant leur culture et en l’enrichissant des autres cultures; un accès aux marchés pour vendre leur riz sans devoir naviguer une semaine sur leur barque  et acheter le sel dix fois plus cher  que dans le village. Deuxième raison : la route permettra de relier pour la première fois l’Amazonie, qui constitue le tiers du territoire bolivien, aux autres régions des vallées et de l’altiplano. Cet isolement d’une partie de l’Etat  a permis qu’à la souveraineté de l’Etat se substituent le pouvoir du patron de hacienda, de l’exploitant forestier étranger ou du narcotrafiquant.
Et la troisième raison est de caractère géopolitique :  les tendances séparatistes de l’oligarchie, qui ont failli diviser la Bolivie en 2008, ont été mises en échec. Mais un dernier pilier économique est encore à leur disposition : le contrôle de l’économie amazonienne, qui pour arriver au reste du pays, passe obligatoirement par la transformation et le financement d’entreprises sous contrôle d’une fraction oligarchique basée à Santa Cruz. Une route reliant directement l’Amazonie aux vallées et à l’Altiplano changerait radicalement la structure du pouvoir économique régional, créant un nouvel axe géo-économique pour l’Etat »…

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