(www.medelu.org / www.rebelion.org / www.adital.org.br)
Après 50 années d’affrontements, avec des centaines de milliers de victimes, des millions de déplacés dans tout le pays, et des négociations infructueuses entre les gouvernements colombiens successifs et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), le président actuel, Juan Manuel Santos et les FARC tentent un nouveau rapprochement en vue d’établir la paix.
Le 26 août 2012, les représentants du gouvernement colombien et ceux des FARC ont signé à La Havane un document intitulé « Accord général pour l’achèvement du conflit et la construction d’une paix stable et durable ». Cet accord identifie 5 points qui feront l’objet d’une négociation entre les parties : la politique de développement agricole intégral, la participation politique, la fin du conflit (acte volontaire de la part des FARC qui acceptent le cessez-le-feu et abandonnent les armes), la solution au problème des drogues illicites, la question des victimes.
Les discussions, auxquelles les Etats-Unis ne seront pas associés, ont débuté le 8 octobre à Oslo avant de se poursuivre à La Havane. Cuba et la Norvège doivent tenir le rôle de pays garants de la bonne marche des négociations, le Chili et Cuba seront des accompagnateurs.
Le contexte actuel.
La Colombie est un territoire de violences et le narcotrafic est présent dans tous les secteurs de la société (armée, paramilitaires, guérillas, Etat.) L’opinion publique aspire à la paix. Les FARC affaiblies reconnaissent ne plus pouvoir conquérir le pouvoir par la guérilla. Les dépenses pour la guerre et l’armement absorbent 32 % du budget de l’Etat. Le Président Juan Manuel Santos souhaite assainir la situation du pays. Il a dit vouloir éviter de reproduire les erreurs commises lors de précédentes négociations avec les FARC. Avant lui, plusieurs présidents ont échoué dans leurs tentatives de mettre fin au conflit entre les rebelles et l’Etat colombien, conflit qui a fait des dizaines de milliers de morts. Le chef de l’Etat a ajouté qu’il pourrait aussi ouvrir des négociations avec l’autre groupe rebelle, l’ELN, l’Armée de libération nationale. Le chef de l’ELN s’est dit ouvert à un dialogue sans conditions avec le gouvernement.
Lourde tâche mais des points positifs…
Il faut organiser la restitution des terres, l’indemnisation des victimes, rassurer les investisseurs et améliorer les relations avec les pays voisins (Equateur, Venezuela). Au point de vue économique, la Colombie vit une période faste liée à l’augmentation des cours des matières premières et agricoles. Elle a conclu de nouvelles alliances économiques dans le cadre des CIVETS (Colombie, Indonésie, Vietnam, Egypte, Turquie, Afrique du Sud). En 2012 elle se classe au 2ème rang des économies d’Amérique du Sud devant l’Argentine, malgré le handicap des guérillas. Pour développer son projet, le président Santos s’appuie sur une oligarchie urbaine, marchande, exportatrice et favorable aux traités de libre-échange internationaux. Cette oligarchie est différente de celle des grands propriétaires terriens qui préféraient la guerre civile plutôt que de partager leurs propriétés avec les paysans sans terre. Afin de développer leurs intérêts, ces partenaires ont besoin de nouveaux rapports sociaux. L’évolution économique de la Colombie se dessine peu à peu, le secteur exportateur minier et celui des hydrocarbures constituent un potentiel à exploiter. Le pays est le 10ème producteur mondial de charbon et le premier pour les émeraudes. Son sous-sol renferme du gaz naturel, de l’or, de l’argent, du nickel, du fer, du platine…
Les objectifs poursuivis.
Avec le soutien de la puissante oligarchie d’affaires, d’abord obtenir le silence des armes. Puis créer un climat de sécurité pour les investisseurs, développer l’exploitation minière et pétrolière afin d’intégrer la Colombie dans l’économie mondiale. Un nouvel acteur propose un vaste débouché aux richesses colombiennes : la Chine, qui est devenue en 2011 le second partenaire commercial de la Colombie après les Etats-Unis. De nombreux accords de coopération économique, énergétique, agricole, ont été signés par le chef de l’état colombien lors de sa visite à Pékin en mai 2012.
Qu’en pense la société civile ?
« C’est le peuple et ses organisations sociales qui ont vécu les rigueurs du conflit et de la guerre », disent les représentants de la société civile. Une quantité d’organisations sociales, regroupées sous le nom de « Ruta Social Común para la Paz » ont élaboré une série de propositions et d’engagements en vue d’un débat politique sur le thème « la paix avec la justice sociale ». Pour toutes ces organisations qui défendent les droits humains, le sort des femmes, des enfants, les indigènes, les victimes du conflit, etc, la Paix doit aller au-delà du « cessez-le-feu », du « silence des fusils », de la « résolution d’un problème militaire ».
Ces mouvements sociaux organisent donc des rassemblements autour de 4 thèmes : la rencontre de communautés paysannes et indigènes ; le congrès national des terres et de la souveraineté ; la marche pour la Paix, et la rencontre nationale d’unité populaire.
Le dialogue de paix qui s’ouvre en Colombie marquera sans doute un tournant dans l’évolution de ce pays, avec de nouvelles alliances internationales et une large exploitation de ses ressources. Mais actuellement, pour la population, l’essentiel n’est-il pas d’asseoir la paix « stable et durable » ?
Lettre ouverte de l’archevêque émérite Desmond Tutu, Prix Nobel de la Paix 1984, au peuple colombien. (Extraits)
« Chères sœurs et chers frères colombiens, je vous écris avec une joie immense, ayant appris qu’un processus de paix s’est mis en marche dans votre pays, et je vous souhaite le meilleur sur le chemin émouvant qui s’ouvre devant vous…(…) Notre expérience en Afrique du Sud nous a appris que, quel que soit le côté du conflit où nous nous trouvons, il arrive un moment où nous devons prendre le risque de laisser de côté nos différences, pour créer des opportunités qui puissent nous réunir. Les premiers pas furent de nous parler et de nous écouter les uns les autres.(…)
Dans bien des aspects, faire la paix est plus difficile que de faire la guerre. Se réconcilier avec l’ennemi d’hier est très dur. Se montrer magnanime, malgré les souvenirs amers, est extrêmement difficile. Le pardon ne peut se donner simplement, il faut le gagner. Guérir les blessures peut être un processus long et sinueux… Il est nécessaire que tous les individus soient des personnes ouvertes, pour voir le monde non seulement à partir de notre regard, mais aussi à partir du regard d’autrui.(…)
En Afrique du Sud, quand les leaders des différents partis qui avaient été ennemis s’assirent ensemble pour parler, littéralement nous ne pouvions en croire nos yeux ! Hier encore ils étaient nos ennemis déclarés ! Hier ils avaient voulu nous détruire physiquement ! Et voilà qu’aujourd’hui ils étaient là, parlant ensemble avec nous comme frères et sœurs! (…) La Commission de la Vérité et de la Réconciliation, que j’ai eu l’honneur de diriger, nous a permis de reconsidérer les choses, pour le bénéfice de nos enfants, de notre pays et du monde que nous partageons, qui est notre foyer… »
Laisser un commentaire