(Cet article a pour sources le bulletin bimestriel PRESENTE, de l’organisation allemande Christliche Initiative Romero (CIR), Münster, et les informations mensuelles de LATEINAMERIKANACHRICHTEN, Berlin, janvier 2013. Le CIR soutient en Amérique Centrale plusieurs projets concernant les droits humains : femmes, enfants, travailleurs exploités, etc.)
En juin 2012, le prix franco-allemand des Droits Humains a été décerné par les ambassades de France et d’Allemagne du Nicaragua à l’organisation AGUAS BRAVAS NICARAGUA (ABN)
ABN a été créée il y a cinq ans, par des femmes résolues à s’exprimer sur les abus sexuels subis dans l’enfance, phénomène largement répandu au Nicaragua. L’organisation allemande qui est à l’origine du projet a pour but d’aider les femmes qui ont été victimes d’abus sexuels dans leur enfance à briser le silence sur ce sujet tabou et à envisager avec lucidité les actions possibles pour faire évoluer cette situation. Actuellement 18 groupes ABN ont pu se créer dans le pays, en zone urbaine. Le prix décerné à ABN a permis de dire à l’opinion publique locale que les deux ambassades considèrent l’abus sexuel sur les enfants comme un problème sérieux pour le développement démocratique du Nicaragua.
Parler d’abus sexuel au Nicaragua est encore tabou. Comment les formatrices parviennent-elles à faire s’exprimer les femmes sur le traumatisme qu’elles ont vécu ? « Nous invitons les femmes à venir dans le groupe de parole. Là elles sont entre elles et peuvent partager leurs expériences de vie. Elles ont toutes vécu des choses semblables : éducation dans l’enfance, problèmes de couple, explosions de colère soudaines et souvent injustifiées, problèmes relationnels avec leurs enfants, problèmes de sexualité, problèmes avec les parents… et la question : que faire avec l’agresseur ? »
« La religiosité joue un grand rôle : beaucoup de femmes pensent qu’en pardonnant à leur agresseur, elles retrouveront la paix intérieure et seront libérées des conséquences. Mais dans la réalité cela ne fonctionne pas ainsi. Elles doivent prendre conscience que l’abus sexuel n’est pas un « péché » mais un acte répréhensible sanctionné par le code pénal. Nous voulons convaincre les femmes que la culpabilité n’est pas de leur côté, et que c’est l’agresseur qui est coupable. Le premier pas que font les femmes est d’apprendre à briser le silence. »
En milieu rural l’abus sexuel est encore considéré comme « naturel » ou comme « la volonté de Dieu ». « Quand une gamine de 14 ans est enceinte des suites d’un viol par un quinquagénaire et qu’il veut bien l’épouser, les parents voient dans ce mariage l’honneur sauvé de leur fille et dissimulent ainsi l’abus plutôt que de le dénoncer. »
Les groupes de femmes parlent-elles aussi des abus sexuels en tant que phénomène de société ?
« Dans les groupes les femmes réfléchissent beaucoup sur leur propre éducation : enfant, on est élevé pour obéir et respecter les adultes. Puis vient l’éducation religieuse qui dit d’honorer père et mère, même si le père abuse de sa fille. Dans le groupe, les femmes réfléchissent sur leur éducation et ses conséquences. Elles découvrent qu’elles ont des droits, et que tant que le patriarcat n’est pas remis en question, il peut y avoir des abus sexuels. Car l’abus sexuel est avant tout un abus de pouvoir. »
La violence est vue comme un problème individuel de la femme alors qu’il s’agit ici d’une violence structurelle, qui fait partie de la culture patriarcale. Pourquoi le gouvernement ne voit-il pas les problèmes structurels derrière la violence et l’abus sexuel ?
« Au Nicaragua on commence seulement à parler ouvertement de l’abus sexuel. L’importance des conséquences à long terme est quasiment ignorée. Pour le gouvernement l’abus sexuel n’est qu’un « problème intra-familial » qui devrait être résolu au sein de la famille et ne pas concerner l’opinion publique. Les femmes n’ont pas conscience qu’elles peuvent user de leurs droits. Elles sont nées avant tout pour obéir à un homme, c’est un gros problème. Mais on ne peut pas dire non plus que l’Etat ne fait rien : Il a promulgué la loi 779, « Loi contre les violences envers les femmes », et les mouvements de femmes ont salué cette initiative. Toutefois il faut encore obtenir que le gouvernement mette à disposition des moyens financiers pour faire appliquer cette loi ! » Dans notre travail nous avons plus de questions que de réponses : où sont les hommes qui font quelque chose contre l’abus sexuel ? Et où sont les pères des petites filles victimes d’abus ?
Le nouveau Code de la Famille est fortement critiqué par les féministes, car il semble ignorer la réalité des familles nicaraguayennes. Il contient de nombreuses contradictions. Le noyau familial est présenté comme particulièrement important et devant être préservé à tout prix. Mais dans la loi contre les violences envers les femmes, il est écrit qu’ « une fille abusée par son père, ne doit pas vivre dans la même maison que l’agresseur. » Le travail de ABN révèle que les abus sexuels sont commis le plus souvent par des membres de la famille.
La loi de 2006, qui interdit toute forme d’avortement, est un retour d’un siècle en arrière. Les filles enceintes à la suite d’abus sexuels n’ont plus le recours de l’interruption de grossesse
thérapeutique même si leur vie est en péril. Situation difficile et douloureuse pour la mère et pour l’enfant à venir. Cette décision a valu au gouvernement nicaraguayen des critiques nombreuses de la part d’Amnesty International, de l’ONU ainsi que d’autres pays (voir nos infos ci-jointes : NICARAGUA : avancées et reculs).
Que faire pour amener un changement des mentalités sur le thème des abus sexuels ?
« Ici et là-bas, il faut en parler, sortir du tabou, réaliser des actions qui réduisent cette forme de patriarcat abusif. Il existe en Allemagne des infrastructures très avancées pour accueillir les victimes d’abus sexuels. Au Nicaragua, par contre, pas de structures spécialisées mais ABN a acquis la publication hebdomadaire d’articles sur ce thème dans un journal, ce que les militantes allemandes ne parviennent pas à obtenir dans leur pays ! En Europe comme au Nicaragua, il reste beaucoup à faire …… »
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