(Extraits de l’article de Raul Zibechi, journaliste uruguayen, analyste et chercheur sur les mouvements sociaux (www.alainet.org)
Au Pérou, un hectare sur 5 a été concédé aux multinationales de la mine, ainsi que la moitié des terres des communautés paysannes et indigènes de la sierra andine. Les paysans et la nature sont les plus affectés par la voracité des grandes entreprises qui accumulent l’or, l’argent et le cuivre sur l’autel de la spéculation.
La manière de se mobiliser de la population montre les changements de fond de l’action sociale.
« Nous avons été anéantis par vingt ans de guerre interne », dit Hugo Blanco, dirigeant paysan vétéran qui fut protagoniste de la lutte pour la récupération des terres dans la décennie 60 à Cusco. Maintenant il est optimiste : « Le conflit de Conga, d’abord, et maintenant celui de Kañaris, nous montrent que la lutte sociale avance, mais par d’autres chemins, à travers les groupes locaux qui sont plus représentatifs des luttes réelles que les vieilles centrales d’autrefois. »Le Pérou est un pays minier. Depuis la Colonie l’exploitation des mines a reconfiguré l’image sociale et politique des peuples originaires qui habitaient la région andine. Durant les dernières décennies l’activité minière s’est reflétée jusque dans les arts et la littérature, sa trace fut particulièrement intense chez les paysans, comme en témoignent les nouvelles de Manuel Scorza, l’un des plus éminents écrivains péruviens.
On enregistre un virage important dans les dernières années. 2012 fut une année de grands conflits sociaux. Les conflits miniers ont contraint à deux changements de cabinet du gouvernement de Ollanta Humala : l’un en décembre 2011, l’autre en juin 2012, alors qu’il terminait sa première année de mandat.
« Il y a dix ans il était impensable qu’un conflit minier occupe les premières pages des journaux et soit présent dans presque tous les médias », signale l’Observatoire des Conflits Miniers du Pérou.Mais la principale nouveauté est que les conflits sociaux liés à l’activité minière soient devenus des conflits politiques d’envergure. Même l’agence de qualification Moody a signalé que la manière du gouvernement d’affronter le conflit Conga peut être préjudiciable aux intérêts du secteur minier.
Comprendre l’importance de la lutte contre l’activité minière suppose d’aborder trois aspects : la « mégaminería » (grande activité minière), l’une des principales formes d’accumulation du capital transnational au Pérou ; la résistance paysanne de caractère communautaire, et les nouveaux modes d’action politique.
Le Pérou dans l’œil du colonialisme minier.
En novembre 2012 il y avait 24 millions d’hectares concédés à l’activité minière, soit 19 % de la superficie totale du pays. 49,6% des terres des communautés paysannes portent des concessions minières. Presque la moitié de la région hydrographique du Pacifique (47%) est concédée aux mines, où vit 65% de la population qui dispose d’à peine 1,8% du volume d’eau du pays. C’est pourquoi les arguments officiels disant que l’activité minière bénéficie au pays sont rejetés en bloc par les « comuneros » qui subissent la perte de leurs terres et de leur accès à l’eau.
Les investissements miniers sont passés de 44% en 2010 à 50% en 2011, après une forte chute en 2009. La région latino-américaine est la première destinataire des investissements miniers, avec 25 % du total, concernant le Chili, le Pérou, le Brésil, la Colombie, le Mexique et l’Argentine. En 2003, c’est à peine 10% de l’investissement minier mondial qui se tournait vers l’Amérique Latine.
Le Pérou est, avec le Chili, la première destination des investissements miniers de la région. En 2010, la région latino-américaine fournissait 51% de l’argent mondial, la moitié du lithium, 45% du cuivre, 27% du molybdène, 25% de l’étain, 23% du zinc et de la bauxite, 19% de l’or et 18% du fer.
Le Pérou a fait un bond significatif en tant que récepteur d’investissements étrangers directs. En 2012, onze mille millions de dollars sont arrivés dans ce pays, soit une augmentation de 34% par rapport à 2011. De 2000 à 2005, la moyenne était de 1600 millions par an.
Ce type d’investissement renforce la dépendance à l’exploitation et l’exportation de ressources naturelles. Le journaliste péruvien Raul Wiener soutient que 30 % des revenus de son pays proviennent de l’activité minière, et que « la seule façon plus ou moins rapide d’accroître ces fonds à court terme et de faire avancer les progrès sociaux que tout candidat promet pour gagner les élections, est d’accorder davantage d’investissements au secteur minier, c’est pourquoi se battre avec ce secteur équivaut à se faire harakiri ».
Le Pérou est devenu le 5ème pays du monde pour la croissance des exportations qui sont passées de 7600 millions de dollars en 2002 à 45 700 millions en 2011. Environ 60 % sont des produits miniers, 10% du pétrole et du gaz, produits qui s’exportent sans transformation. C’est le plus grand exportateur latino-américain d’or, de zinc, de plomb et d’étain, le 2ème exportateur pour l’argent et le cuivre. Les concessions minières ont doublé entre 2006 et 2010, selon l’Observatoire des Conflits Miniers.
Résistances dans les Andes.
Durant fin 2011 et 2012, le principal conflit minier et social concernait la région de Cajamarca, au nord du pays, pour l’opposition massive de la population au projet d’exploitation Conga, pour l’or et l’argent, dans la mine de Yanacocha, propriété états-unienne de la Newmont Mining Corporation. La mine exploite depuis plus de 20 ans un gisement d’or à 50 km au nord de Cajamarca, à plus de 3400m d’altitude. C’est la 2ème mine d’or du monde. (…)
Le problème principal est que l’activité minière, qui inclut l’usage de cyanure et de mercure, affecte les lagunes d’altitude qui fournissent l’eau des communautés rurales et des villes.
En 2012 on enregistra 167 conflits actifs : 123 catalogués comme « socio-environnementaux » et 7 seulement comme conflits du travail.
Les paysans se retrouvent sans terre et sans eau, et réagissent de toutes leurs forces, mobilisant leur communauté. Une enquête révèle qu’à Cajamarca, 78 % de la population s’oppose au projet Conga. Bien que l’épicentre soit Cajamarca, les conflits miniers embrasent tout le pays.
Regardant la réalité de plus près, on note que la population a mis en œuvre une variété de ressources stupéfiante : elle a créé des fronts de défense provinciaux et locaux, réalisé des enquêtes municipales et provinciales, des marches, des grèves régionales, des blocages de routes…
L’une des activités de résistance très importante sont les « rondas » paysannes, organisations communales d’auto-défense nées dans la décennie 70 à Cajamarca et Piura pour combattre le vol de bétail. Les « ronderos » de Cajamarca campaient dans les environs des lagunes impactées par le projet minier, pour surveiller et empêcher tout travail de l’entreprise dans la zone. On les nommait « gardiens des lagunes ». La mobilisation débuta en novembre. L’un des campements fut détruit par la police. Le « Commando Unitaire de Lutte de Cajamarca » décida de construire deux maisons pour les rondes paysannes, afin que les ronderos et les visiteurs puissent y passer la nuit et poursuivre fermement leur lutte.
Cette lutte pour le contrôle du territoire était contrée par la militarisation de la région par le gouvernement, tandis que Yanacocha fermait les chemins aux paysans. Les communautés répondirent en plaçant des panneaux sur les voies de ciculation et dans toutes les agglomérations « Territoire rondero libre d’activité minière » (…)
Le gouvernement Humala appliqua le décret 1095 émis par le gouvernement précédent d’Alan Garcia qui autorisait l’intervention des Forces Armées dans le contrôle de l’ordre interne et qualifiait ceux qui protestaient de « groupe hostile », tandis que les violations des Droits Humains commis par les Forces Armées répressives sont jugées par les tribunaux militaires. (…)
Hugo Blanco, qui vécut la période des grandes organisations et accompagne maintenant les mouvements de Cajamarca est très clair : selon lui il s’agit de coordonner les luttes et en même temps d’avancer vers une démocratisation grandissante du mouvement, où ce soit la collectivité qui décide et non les dirigeants, sans dévier leur activité centrale vers des campagnes électorales. En peu de mots il aborde trois thèmes clés : coordonner les luttes sans créer d’appareil bureaucratique ; que les gens décident (ce que les zapatistes nomment : « commander en obéissant »), et éviter la tentation électorale qui distorsionne les luttes en les incrustant dans l’institutionnalité de l’Etat. Sans le dire, il parle d’une nouvelle culture politique. La vieille culture a montré ses limites.
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