(Noticias Aliadas, 14 mars 2014 et article de Hernan Uribe, journaliste et écrivain chilien)
Le 11 mars 2014, Michelle Bachelet commençait son second mandat comme présidente du Chili pour les 4 années à venir. Après son premier mandat présidentiel de 2006 à 2010, elle fut jusqu’en 2013 directrice exécutive de l’ONU-Femmes, organisme qui défend les droits des femmes dans le monde. Aux récentes présidentielles du Chili, elle est candidate de la coalition de centre gauche Nueva Mayoría (Nouvelle Majorité), qui inclut les 4 partis de la Concertation Démocratique (Démocrate Chrétien, Pour la Démocratie, Radical Social démocrate et Socialiste) qui gouvernait le Chili entre 1990 et 2010, et à laquelle se joignirent le Parti Communiste, la Gauche Citoyenne et le Mouvement Social élargi. Au second tour Michelle Bachelet a été élue avec 62,2 % des votes. Elle promet de mettre en place des réformes qu’elle n’a pu opérer lors de son premier mandat : révision d’une Constitution issue de la période dictatoriale, refondation du système éducatif public financé par réforme fiscale augmentant l’impôt des sociétés de 8 milliards de dollars, amélioration du réseau de la santé et des services publics, réforme de la loi sur l’avortement…Un premier défi pour réaliser son programme « Chili de todos » (Le Chili de tous) , sera de mettre en place une réforme éducative qui garantisse une éducation publique gratuite et de qualité, et mette fin au système éducatif basé sur le profit. Depuis 2006 les étudiants luttent pour obtenir que soit enfin appliquée la Loi Générale de l’Education (LGE), la gratuité de la sélection universitaire et des transports scolaires, entre autres.
Les ex-leaders étudiants au Congrès.
Quatre leaders étudiants avaient été élus députés après leurs manifestations de 2011. Ce sont Camila Vallejo et Karol Cariola, du Parti Communiste, qui fait partie de la coalition gouvernementale, Giogio Jackson, de Révolution Démocratique et Gabriel Boric, de la Gauche Autonome. Ces ex-dirigeants de mouvements étudiants ont assumé leurs responsabilités depuis leur élection à l’Assemblée; et actuellement, ils se déclarent prêts à soutenir la lutte « pour changer l’éducation, réaliser la réforme fiscale et obtenir une nouvelle Constitution ».
La santé malade…
Boric est particulièrement centré sur sa revendication des « droits sociaux universels, en contraste flagrant avec la conception actuelle de l’Etat ». « Je ne conçois pas que l’on entretienne un négoce avec les droits fondamentaux comme l’éducation et la santé. On ne peut admettre qu’il n’y ait pas un système de santé garantie pour toute la population ».
En effet il reste beaucoup à faire dans ce domaine. Un témoignage publié par ALAI décrit la situation sanitaire dans une polyclinique créée en 2011 à Santiago pour libérer des lits dans l’hôpital San José, et faire diminuer les listes d’attente qui trainaient depuis longtemps.
Des médecins frais émoulus de leur université se faisaient payer comme des spécialistes. Des listes de malades trainaient depuis des mois, les malades attendant un rendez-vous qui n’arrivait jamais. Pour faire avancer les choses, des médecins écrivaient « soins réalisés » en face des noms inscrits, et les patients disparaissaient de la liste d’attente. … L’auteur se demande à juste titre si le fonctionnement était semblable dans tous les établissements hospitaliers.
Mais l’objectif le plus important de la présidente, et le plus difficile à atteindre, » la mère de toutes les batailles » est l’approbation d’une nouvelle Constitution qui remplacerait celle héritée de la dictature militaire, une Constitution qui garantirait des droits et incorporerait des mécanismes de démocratie directe et indirecte, incluant un nouveau système électoral et le rétablissement de la majorité absolue pour modifier les lois, notamment. Mais cette réforme requiert l’approbation des trois cinquièmes du corps législatif (72 députés et 23 sénateurs) ce qui obligera M. Bachelet à négocier avec des législateurs de partis d’opposition. Pour parvenir à changer la Constitution ii faudrait d’abord une Assemblée Constituante, initiative réclamée par 10 % de la population. Mais il ne semble pas que la Présidente ait l’intention de choisir cette voie.
La Constitution de Pinochet.
Imposée par décret en 1980 par la dictature pinochettiste, cette Constitution a des relents d’extrême droite et de fascisme. Jusqu’au coup d’Etat de 1973, le gouvernement du Chili se référait à la Constitution de 1925. Puis de 1973 à 1980, on utilisa le mécanisme de 778 « Actes Constitutionnels », – comme on les appelait – , en contradiction avec la Constitution de 1925.
L’historien chilien Gonzalo Vial Correa qui fut ministre de l’éducation avant d’être congédié par Pinochet, racontait en 1998 que cette carence de normes menaçait de mener à la crise et qu’il avait alors entrepris de réunir une « Commission d’Etude de la Nouvelle Constitution » avec un groupe de huit avocats. Vial résume les circonstances qui l’obligèrent à « fabriquer » cette Nouvelle Constitution :
Chaque année, l’ONU condamnait la tyrannie et la violation des Droits de l’Homme ; les Etats-Unis protestaient pour l’assassinat à Washington de Orlando Letelier, ex-chancelier de Allende qui s’était exilé là-bas ; les travailleurs portuaires du monde menaçaient de boycotter le Chili; les préparatifs de guerre contre l’Argentine ; la menace d’attaque péruvienne en 1979 ; les aspirations maritimes de la Bolivie… Toujours selon Vial, Pinochet suggéra à la commission d’imiter l’Espagnol Francisco Franco à propos d’une « Grande Charte » qui n’entrerait en vigueur qu’après son décès…
Approuvée en 1980, par une comédie de plébiscite, la Constitution des huit avocats n’a été modifiée que sur des questions secondaires de manière à sauvegarder son essence. Quelques exemples : l’article 15 : »La Constitution Politique garantit le Pluralisme politique. Sont inconstitutionnels : les partis, mouvements ou autres formes d’organisation dont les objectifs, actes ou conduites ne respectent pas les principes de base du régime démocratique et constitutionnel, favorisant ainsi l’établissement d’un régime totalitaire »…
Article 16 : « Les fonctionnaires de l’Etat et des municipalités ne pourront pas se déclarer en grève. De même que les personnes travaillant dans des entreprises qui assurent des services d’utilité publique ».
Article 18: « Les organisations syndicales ne pourront pas intervenir dans des activités politico-partisanes. La loi établira les sanctions qu’il convient de leur appliquer… »
Dans cette « Constitution » fut aussi établi le négoce de l’éducation publique. L’article 11, apparemment innocent, proclamait : » La liberté de l’enseignement inclut le droit d’ouvrir, d’organiser et de maintenir des établissements d’éducation ». Cette « liberté » légalisa l’émergence d’un fabuleux négoce avec la création d’entités privées, de l’école primaire à l’université ! Et en même temps, elle causa la disparition des organismes publics de ce secteur.
Espoirs de la population ? ou scepticisme ?
L’Assemblée Coordinatrice des Etudiants du Secondaire manifeste son pessimisme : »Nous savons que nos demandes seront converties en propositions pour la classe des entreprises et en s’éloignant de leur origine, le mouvement social. Quant à la réforme fiscale, elle sera accompagnée d’une réduction d’impôts de 35 ou 40 % en faveur des gens aisés. Et le programme n’inclut pas de changement dans la législation minière ni dans celle du travail ».
Politique extérieure.
Le Chili restera dans le bloc conservateur constitué par la Colombie, le Pérou et le Mexique. Le programme du gouvernement dit : »Encourageons les efforts d’intégration dans l’Alliance du Pacifique ». Le différend avec la Bolivie et sa demande maritime n’est pas encore résolu.
Ambiance…
Le passé récent semble marquer un réveil du peuple chilien : marches d’étudiants mais aussi luttes régionalistes, écologistes, luttes des travailleurs du cuivre, des pêcheurs , des travailleurs portuaires, sans oublier le peuple mapuche toujours combatif. Création du Parti Egalité, impulsé par le Mouvement des
Habitants… La tâche principale sera d’articuler les initiatives dispersées pour rompre avec le passé et pour que « s’ouvrent les grandes avenues où passera l’homme libre pour construire une société meilleure »…
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