MEXIQUE – Les élections mexicaines, entre statu-quo et désillusion sociale.

(Article de Sergio Ferrari, 09/06/15  –  Adital – Trad. B.Fieux)

Un citoyen mexicain sur deux n’est pas allé voter le premier dimanche de juin aux élections intermédiaires. Et ceux qui  l’ont fait ont exprimé par les urnes leur désenchantement  envers la politique traditionnelle de ce pays latinoaméricain.

Le renouvellement de toute la Chambre des Députés, des gouverneurs de neuf Etats de la Fédération et de centaines d’autres charges électives, n’a pas apporté « une clarification du panorama politique mexicain », souligne Romeo Rey, analyste suisse en thèmes latino-américains.

Les partis traditionnels maintiennent leur actuelle suprématie, mais en recul. Pendant ce temps le reste du « panorama des partis se présente de plus en plus fractionné et réparti entre diverses petites formations qui vont de la gauche à un secteur des verts et des humanistes, entre autres « , analyse Rey qui, durant 30 années, de 1972 à 2002, a travaillé comme correspondant latino-américain du périodique suisse Tages Anzeiger et de l’allemand Frankfurter Rundschau.

Peu de nouveau.

Les partis traditionnels ont été sanctionnés et ont reculé dans leurs pourcentages, selon le dénombrement partiel de 80% des votes. Le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), avec 30 % de l’électorat, atteindrait  la majorité simple au Parlement avec son allié le Parti Vert Ecologiste. Puis le Parti Action Nationale (PAN) de droite, atteint à peine la barre des 20%. Et en troisième position le Parti Démocratique Révolutionnaire ( PRD), la grand perdant de dimanche dernier. Avec à peine 10 % des votes il perd une quarantaine de sièges.

Sa dissidence critique menée par Andrès Manuel López Obrador avec son Morena  (Mouvement Régénération Nationale), capitalise les postes arrachés au PRD, protagonise la principale progression, et multiplie par quatre ses votes par comparaison aux élections antérieures, bien qu’il totalise à peine 10 % des électeurs.

Il semblerait que « les citoyens veuillent prendre leurs distances avec la vie politique à travers les urnes » juge Romeo Rey en analysant la faible participation de moins de 50 % de l’électorat. « Cette abstention peut s’interpréter  comme un indicatif de la désillusion envers la politique de l’actuel gouvernement dirigé par Enrique Peña Nieto, deux ans et demi après le début de son mandat. »

On ne peut pas minimiser l’impact de la corruption présente aux différents niveaux de l’Etat, « ce qui éveille chez la population des sentiments croissants d’impuissance et de méfiance » vis-à-vis du pouvoir.

D’autre part, signale l’analyste helvétique, »cela pourrait exprimer une protestation plus profonde contre le système politique mexicain ». Et de rappeler que certains secteurs, en particulier syndicalistes, enseignants, étudiants et intellectuels ont appelé au boycott des élections le premier dimanche de juin.

Mécontentement social.     

D’autres facteurs peuvent expliquer le mécontentement politique, selon Rey. L’un d’eux, « l’évidente incapacité de l’Etat à tous les niveaux de traquer les organisations illégales du narcotrafic qui constituent un facteur de pouvoir de premier rang dans ce pays ».

Toutes les tentatives de répression de la part des institutions de l’Etat, y compris les Forces Armées, « ont donné comme résultat des dizaines de  milliers de morts, c’est-à-dire la violence généralisée et  comparable à des pays en état de guerre civile, tandis que les cartels du narcotrafic continuent d’agir sans frein dans de grandes parties du territoire national », souligne-t-il.

« C’est la première fois qu’il a été  nécessaire de mettre en place une importante présence des militaires et de la marine pour protéger les casillas (centres de vote), ce qui a engendré, paradoxalement, un climat d’insécurité et de crainte parmi la population », explique la coopérante suisse Hélène Blanco, qui dirige depuis plus de dix ans l’organisation Madre Tierra México, consacrée à promouvoir la formation de multiplicateurs sociaux dans les communautés du sud-est mexicain et dont le siège est à San Cristobal de las Casas, Chiapas.

« Dans au moins trois Etat du pays – Chiapas, Oaxaca, Guerrero -, et dans quelques régions du Michoacán, de sérieux conflits se sont produits avant et pendant le jour des élections, et dans plus de 30 municipios on n’a pas pu voter. Au Chiapas, le rejet a été exprimé par le zapatisme, par les enseignant(e)s et les organisations paysannes », précise-t-elle. « C’est un pays avec  presque 120 millions d’habitants, dont 70 millions de gens très pauvres. Cette situation crée une grande distance envers la participation politico-électorale traditionnelle…

Ce rejet ne vient pas seulement de la campagne ou de la population indigène, comme on pourrait le supposer. « Il est présent aussi dans les grandes villes où la violence, le narcotrafic et la corruption généralisée sont des phénomènes quotidiens ». Réalité qui engendre le mécontentement mais aussi l’abstentionnisme. « Ce pourcentage si élevé de non-participation électorale, véritable vote de sanction pour le gouvernement, remet en question la légitimité même des élus et de la politique gouvernementale », souligne la coopérante, en visite en Suisse pour quelques semaines.

Notre question : alors deux pays en un ? celui des urnes et celui de l’abstention ? « Non, mais un seul Mexique avec de grands contrastes, avec une crise sans résolution, et avec une lutte interne très forte…Un pays dans lequel les larges secteurs de la population, mis à mal par les réformes structurelles et leurs cruelles conséquences économico-sociales, ne se reconnaissent pas dans cette manière de concevoir la politique et rejettent les élections », conclut-elle.


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