(Noticias Aliadas, 23 septembre 2015 – Trad. Bernadette Fieux)
La détention-disparition de militants sociaux et défenseurs des droits humains, l’assassinat de leaders sociaux et l’emprisonnement d’autres personnes pour des raisons politiques répondent à une « politique de gouvernement » visant à dissuader la résistance des organisations face à l’abus de pouvoir et à la répression au Mexique.
C’est ainsi que le signale le Front National de Lutte pour le Socialisme (FNLS), – organisation politique à prédominance paysanne présente dans neuf Etats de la République -, dans le forum sur la disparition forcée auquel invitait en janvier l’Université Autonome de Puebla (BUAP), entité dans laquelle, signalait l’organisation, « disparaissaient » deux personnes par jour.
Au Mexique il y a plus de 110 000 détenus-disparus, et pas seulement 23 000 comme le dit le Secrétariat de Gouvernement.
« La disparition forcée de personnes, loin d’être un phénomène social de grande importance et de préoccupation, est aussi une pratique récurrente, systématique et qui est devenue maintenant une politique d’Etat, dont l’objectif est de faire taire toute voix de protestation, de dissidence et aussi d’exigence de nos droits humains les plus fondamentaux », signale le Front dans un communiqué.
Pour le FNLS, parmi les 110 000 détenus-disparus se trouvent les 43 étudiants disparus de l’Ecole Normale Rurale de Ayotzinapa, massacrés le 26 septembre 2014 par la Police Municipale de Iguala, au sud-ouest de l’Etat de Guerrero, et prétendument incinérés dans une décharge éloignée par des éléments du cartel de narcotrafiquants « Guerreros Unidos », sur ordre du maire d’alors, aujourd’hui en prison, José Luis Abarca et son épouse, María de los Angeles Pineda, associés à la délinquance organisée depuis 2005, selon l’information du Procureur Général de la République (PGR). Les disparitions forcées sont planifiées systématiquement « avec l’accord et la responsabilité de l’Etat », que ce soit par commission ou par omission, assure le FNLS.
Terreur sociale
La disparition forcée des personnes en tant que partie de la répression des mouvements sociaux, est une pratique systématique de l’Etat avec la participation des groupes du narcotrafic. Ramón Islas, académicien du secteur des droits humains de l’Université Autonome de la ville de Mexico (UACM), soutient que dans le cadre de la guerre contre le narcotrafic, les techniques de mise en œuvre de la terreur sociale dans le pays ont évolué.
Islas a signalé à Noticias Aliadas qu’actuellement on vit une « étape de guerre irrégulière » sur le combat des drogues où des groupes de narcotrafiquants ou de délinquants non identifiés se consacrent à la disparition de personnes.
« Par tout le territoire mexicain se répand le sang du peuple travailleur, avec les milliers de détenus disparus, et les exécutions extra-judiciaires et les emprisonnements injustes. Ce qui au début nous semblait être un climat de terreur réservé aux villes du nord – principaux centres d’opération de divers cartels de la drogue -, aujourd’hui est un laboratoire criminel qui s’étend à tous les coins du pays », signale Islas. « Outre la détention et la disparition forcée des personnes, existent de nouvelles formes de répression comme : priver d’eau les communautés, brûler les cultures et les habitations, criminaliser la protestation sociale, sans oublier les agressions sexuelles », explique Islas.
En 2013, 13 militants sociaux ont été assassinés dans l’Etat de Guerrero, la majorité pour s’être opposés aux caciques locaux qui exploitaient les paysans de la zone avec la tolérance du gouvernement central. La responsable de l’Organisation Paysanne de la Sierra Sur (OCSS), Rocío Mesino, fut criblée de balles en octobre de cette année. Son père, Hilario Mesino, accusa directement le gouverneur Angel Aguirre de la mort de sa fille, et dit que durant sa gestion « la répression et la criminalisation envers les organisations sociales et les leaders communautaires s’étaient accrues ». A ce jour, personne n’a été inquiété par des poursuites pour établir la responsabilité du crime.
Prisonniers politiques
Il existe aussi des militants sociaux emprisonnés pour des motifs politiques. Sur la durée du mandat de Peña Nieto, qui débuta en décembre 2012, on compte 350 prisonniers politiques.
Les chiffres sont fournis par le Comité Nestora Libre, organisation civile qui soutient la défense de Nestora Salgado García, commandante de la Police Communautaire du municipio de Olinalá, Guerrero, qui fut arrêtée en aout 2013 sous imputation de séquestration, mais dont la détention se fonda sur des causes politiques, selon sa défense.
Le comité Nestora Libre signale que Salgado García est criminalisé politiquement, faussement accusé de séquestration basée sur une opération qu’il dirigea pour le démantèlement d’un réseau de trafic sexuel de femmes et fillettes d’Europe et de Colombie, obligées de se prostituer dans les bars du Guerrero et autres Etats du pays. Il ajoute que le cas de Nestora Salgado met en évidence « la stigmatisation de l’Etat Mexicain envers les Polices Communautaires », une initiative de sécurité et justice des communautés rurales du Guerrero, qui naquit en 1996, motivée par la Coordination Régionale des Autorités Communautaires (CRAC) et l’Union des Peuples et Organisations de l’Etat de Guerrero (UPOEG), pour faire front au paramilitarisme et aux groupes de narcotrafiquants.
Selon les chiffres donnés par le Comité Nestora Libre, sur les 350 prisonniers politiques, 13 sont des policiers communautaires détenus au Guerrero, et 4 sont des opposants au barrage La Parota, Guerrero. D’autres détenus, dans l’Etat de Puebla, s’opposaient à la construction d’une usine thermoélectrique.
Mais le plus grand nombre de prisonniers politiques est dans l’Etat de Michoacán: 300 membres des auto-défenses – créées en 2013 avec l’appui du gouvernement fédéral pour combattre le cartel des drogues Los Caballeros Templarios -, ont été emprisonnés, y compris un de leurs fondateurs, José Manuel Mireles Valverde, arrêté en juin 2014 pour port illégal d’arme réservée à l’usage exclusif de l’armée.
Toutefois, Talia Vázquez Alatorre, avocate engagée pour la défense de tous les autodéfenses prisonniers, allégua que Mireles était un « prisonnier politique », subissant un procès légal indu dans sa détention. En novembre 2014, l’ex-leader des auto-défenses accepta un « pacte politique conditionné » avec le Secrétariat de Gouvernement, pour obtenir sa liberté, annonça sa défense.
Les détentions pour motifs politiques atteignent la capitale du pays. Elle cite le cas de Mario González, détenu durant un an par le gouvernement du District Fédéral pour sa participation aux manifestations du 2 octobre 2013 dans la capitale du pays, organisée en raison de la 46e commémoration du massacre d’étudiants perpétré par l’armée dans la zone de Tlatelolco en 1968.
Tandis que l’on continue de proscrire la manifestation sociale et qu’on donne un traitement de délinquants aux militants sociaux, des organisations de droits humains impulsent des campagnes réclamant que la protestation soit un droit.
Le Réseau National « Tous les Droits pour Tous et Toutes » (Réseau TDT) a lancé en 2008 la campagne « Protester est un droit, réprimer est un délit », et en 2013 il a dû la relancer du fait de l’augmentation des politiques de criminalisation du droit à protester et de l’impunité qui s’y rattachait.
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