(Arnoldo Pérez Guerra, publié par Noticias Aliadas, 26/11/2015, traduction B. Fieux)
De grands groupes économiques « investissent » dans des campagnes politiques pour obtenir des privilèges et éviter de nécessaires transformations économiques et sociales.
Le Chili est considéré comme l’un des pays ayant le moins de corruption en Amérique Latine, selon les Indices de Perception de la Corruption de Transparence Internationale, cependant ce fléau croît rapidement.
En novembre 2014 une enquête fiscale mit en évidence un foyer de corruption d’entreprise: le paiement du Fond des Bénéfices Fiscaux – créé sous la dictature de Pinochet (1973-1990) pour que les grandes entreprises ne paient pas d’impôts sur la majorité de leurs bénéfices -, ce qui ouvrit la voie à d’autres cas, dévoilant une corruption généralisée dans les institutions publiques et privées, et éclaboussant même l’entourage de la présidente Michelle Bachelet.
Ce qui avait commencé comme une fraude fiscale se termina en spirale de corruption impliquant d’importants groupes économiques qui finançaient illégalement des membres du Congrès et des candidats à la présidence. Après la découverte de fausses factures, révélant le soutien aux campagnes des membres de l’Union des Démocrates Indépendants (UDI), chaque jour s’ajoutaient de nouvelles entreprises liées à de grandes holdings qui opèrent dans les secteurs financiers et l’extraction : Société Chimique et Minière (SQM), Corpbanca, Corpesca, et les transnationales Aguas Andinas, Endesa, etc.
Ces groupes économiques ont financé également les campagnes électorales de l’ex-ministre des finances du premier gouvernement de M. Bachelet, d’un député de gauche Marco Enriquez, et de M. Bachelet elle-même. Andrónico Luksic, à la tête du principal groupe d’entreprises du pays, a collaboré généreusement à l’ultime campagne de la mandataire, bien qu’on ignore les montants impliqués.
Luksic est impliqué dans le cas Caval, ainsi que le fils aîné de M. Bachelet, Sebastian Dávalos. La Banco de Chile, propriété de Luksic, a accordé un crédit de 6,5 milliards de pesos (environ 10 millions de dollars US) à Natalia Compagnon, épouse de Dávalos. Le crédit, sollicité à travers l’entreprise Caval, fut accordé le 16 décembre 2013, le lendemain du second tour présidentiel, et négocié par Dávalos et Compagnon directement avec Luksic. L’argent fut utilisé pour l’achat d’un terrain agricole au centre du pays, pour spéculation immobilière. Dávalos et N. Compagnon sont interrogés pour trafic d’influences et utilisation d’information privilégiée.
Ce cas provoqua l’écroulement de la popularité de la présidente et une crise politique aux effets imprévisibles.
Transnationales et holdings paient des fonctionnaires et des hommes politiques pour obtenir des informations ou un traitement préférentiel.
Fin octobre éclata le scandale du « cartel du confort », en référence à une des marques de papier hygiénique. Deux entreprises fixèrent des prix de manière illicite et se répartirent 90% du marché de papier hygiénique durant une décennie. Autres cas similaires : la collusion de pharmacies découverte en 2008, et celle d’entreprises avicoles en 2011. Mais les peines de prison pour collusion furent commuées en amendes par le président Ricardo Lagos.
L’académicien Tito Flores, docteur en Administration Publique, a signalé à Noticias Aliadas que la principale conséquence de la crise fut la perte de confiance qui s’est installée dans la population. « Les élites apparaissent à la population comme s’ils avaient comploté dans le but de générer des bénéfices particuliers qui les favorisent, et non travaillé dans l’intérêt général du pays. La crise de corruption a affecté deux piliers irremplaçables pour le vivre ensemble et la cohésion sociale robuste.
La spirale de corruption a mis en évidence une relation incestueuse entre politique et argent qui accepte les « négociations « comme la normalité. A cela s’ajoute une énorme crise de crédibilité et l’inexistence d’une législation claire. Il est urgent d’avoir une nouvelle Constitution, des lois sur la transparence et la probité qui imposent de nouvelles règles du jeu, le durcissement des peines et des contrôles », a commenté à Noticias Aliadas Rodrigo Guerra, homme politique et scientifique.
Nécessaire contrôle citoyen.
M.Bachelet a créé le Conseil Assesseur contre les Conflits d’Intérêt, le Trafic d’Influence et la Corruption. Mais du centre-gauche à l’extrême-droite, la classe politique est traversée par ses compromissions avec les grandes entreprises. Beaucoup ne comprennent pas encore comment la coalition Nouvelle Majorité, qui a amené M. Bachelet au Pouvoir, finit par « manger dans la main » de Julio Ponce Lerou, ex-gendre de Pinochet et propriétaire de SQM, ou que les « négociations » de la belle-fille de M. Bachelet impliquent des militants de l’UDI et ex-collaborateurs de la DINA, la police secrète du dictateur. Ce qui est certain, c’est qu’entre 2012 et 2013, SQM a déboursé en marge de la loi plus de 360 000 dollars pour financer le poste présidentiel de M. Bachelet.
Les dernières investigations ont découvert aussi un autre pot-aux-roses : les millions versés par les industriels de la pêche (CORPESCA) aux politiciens et parlementaires pour qu’ils sauvegardent leurs intérêts dans les débats au Congrès sur la Loi de la Pêche.
Au cours de sa première administration, M. Bachelet avait promulgué la Loi sur la Transparence, mais les derniers cas de corruption démontrent que cela n’a servi à rien.
« Les secteurs politiques avec représentation parlementaire ont promis leur appui aux propositions anti-corruption du Conseil Assesseur. Mais aucune initiative ne propose d’attaquer le cœur de la corruption, c’est-à-dire le système qui la reproduit. La corruption est le salaire que paient les grandes entreprises pour éviter les transformations économiques et sociales dont le Chili a besoin… »
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