MEXIQUE – Corruption et impunité à tous les niveaux de l’Etat.

(Noticias Aliadas, 11/12/2015)

La société civile a présenté une proposition, soutenue par les Nations Unies, pour constituer une commission contre l’impunité.

Le film La dictature parfaite, du réalisateur mexicain Luis Estrada, est la satire d’un pays dominé par la corruption.  « Dans cette histoire, tous les noms sont fictifs. Les faits, très probablement véritables. Toute ressemblance ou similitude avec la réalité n’est pas pure coincidence », annonce Estrada au début du film.

La dictature parfaite, filmée en 2014, parle du Mexique gouverné par le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), où les  organisations criminelles travaillent comme des pistoleros de politiques et où ceux qui osent les dénoncer sont assassinés. C’est la télévision qui commande, elle est capable de manipuler l’opinion publique au point d’imposer un président ou de le discréditer. Le titre du film est emprunté à une phrase de l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa pour décrire les gouvernements successifs du PRI, qui s’est maintenu au pouvoir durant plus de 60 ans.

Ainsi est le Mexique où, selon une investigation du quotidien britannique The Guardian, – qui couvre 70% de l’audience du pays, avec une des meilleures concentrations médiatiques du monde -, durant la campagne électorale de 2012, il convertit le candidat priiste peu connu Enrique Peña Nieto  en président de la République, après paiement de quelques millions de dollars. Une équipe de journalistes, encadrés par Carmen Aristegui qui travaille pour l’émetteur Noticias MVS, fut congédiée de manière intempestive en mars dernier, après avoir révélé que la résidence où vit Peña Nieto avec sa famille est la propriété du Groupe Higa, entreprise d’un ami du mandataire que celui-ci favorise en lui attribuant des contrats pour la réalisation de travaux publics.

La population mexicaine est consciente du problème de corruption qui sévit dans le pays. Selon l’indice de Perception de la Corruption 2014, de transparence internationale, le Mexique se trouve au 103e rang parmi 175 pays. Son principal compétiteur économique de la région, le Brésil, est au 69e rang.

Selon la Banque Mondiale, la corruption au Mexique représente 9% du PIB et équivaut à  60% des impôts recueillis au niveau fédéral. Et la corruption va de pair avec la violence et  la violation des droits humains. Cette année plus de 15 000 personnes ont été assassinées au Mexique, les Etats de Zacatecas et de basse Californie étant ceux qui enregistrent des augmentations supérieures à 100%. Le taux d’impunité atteint 98%.

Concernant Ayotzinapa.

Avec le cas d’Ayotzinapa et la disparition de 43 étudiants, l’opinion publique internationale découvrit l’évidence des niveaux élevés de corruption et d’impunité existant au Mexique et le manque d’engagement du gouvernement en matière de droits humains.

En janvier 2015, le Procureur Général de la République (PGR) annonça ce qu’il définissait comme « vérité historique »  sur ce cas : la nuit du 26 septembre 2014, la Police Municipale séquestra 43 étudiants d’Ayotzinapa, dans l’Etat de Guerrero, pour les remettre ensuite au cartel criminel « Guerreros Unidos » qui les aurait emmenés à la décharge de Cocula pour les assassiner puis les incinérer. Cependant, début septembre, les membres du Groupe Interdisciplinaire d’Experts Indépendants (GIEI) désigné par la Commission Interaméricaine des Droits Humains (CIDH) à la demande du gouvernement mexicain pour enquêter sur le cas et donner des recommandations aux autorités, arrivèrent à la conclusion basée sur des évidences scientifiques que les étudiants n’avaient pas été incinérés dans la décharge de Cocula. Ils montrèrent aussi que la PGR avait omis certains faits, couvrant de cette façon l’implication de la Police Fédérale et de l’Armée dans l’attaque.

« Nous avons fait une évaluation de l’intention (des autorités), ce que nous avons dit est qu’il y a une omission totale de certains faits, bien qu’ils figurent dans les déclarations des Normaliens, et nous en avons informé le Procureur. Il y a des personnes responsables de ces omissions, ce n’est pas notre rôle de faire des enquêtes, mais il faut que quelqu’un le fasse », explique à Noticias Aliadas Carlos Beristein, membre du GIEI.

Notre travail est une opportunité pour l’Etat mexicain et nous considérons qu’il est un apport dans la lutte contre l’impunité dans ce pays ; c’est un outil important non seulement pour ce cas concret mais il jouit de recommandations générales pour les autres cas de disparition forcée dans le pays, et nous espérons qu’il soit utilisé dans la pratique ».

Commission contre l’impunité.

Quand, le 24 septembre dernier, les parents des victimes d’Ayotzinapa se réunirent avec Peña Nieto, ils exigèrent la formation d’une commission internationale  contre l’impunité au Mexique. L’idée venait de l’expérience du Guatemala où la Commission Internationale contre l’Impunité au Guatemala (CIGIG), appuyée par les Nations Unies, mit au jour un gigantesque réseau de corruption connu sous le nom de « La Linea » qui se consacrait à la fraude fiscale, obligeant le Président Otto Pérez Molina et la vice-présidente Roxana Baldetti à démissionner tous deux, avec un cortège de hauts fonctionnaires gouvernementaux. Ils sont prisonniers en attente de jugement.

En octobre, un groupe d’organisations de la société civile mexicaine présenta au Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits Humains, Zeid Ra’ad Al Hussein, la proposition de création, dans leur pays, d’une commission similaire à celle du Guatemala. Mais pour que cette proposition se réalise il lui faut d’abord l’approbation de l’Etat mexicain.

« Il est de plus en plus clair que l’Etat mexicain est non seulement incapable de faire régner la justice mais qu’il a été infiltré à tous les niveaux par le crime organisé, de la Présidence de la République jusqu’aux polices Municipales » a affirmé à Noticias Aliadas Federico Navarrete, professeur de l’UNAM (Université Nationale Autonome du Mexique) et à l’origine de la proposition.

« Une collaboration internationale est nécessaire pour reconstruire la gouvernabilité du pays. Sans une aide extérieure, il sera très difficile que l’Etat Mexicain se modifie, que soudainement il fasse ce qu’en réalité il n’a jamais fait. Je crois que l’unique espoir serait une mobilisation sociale exigeant un examen profond des institutions du pays, ainsi qu’une pression internationale des pays alliés du Mexique, parce qu’un système aussi corrompu ne l’acceptera pas de lui-même », ajouta-t-il.

 

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