(Article de Gerardo Honty, analyste du CLAES,
Centre Latinoaméricain d’Ecologie Sociale, et extraits de Noticias Aliadas du 09/03/2016.)
Le 25 janvier dernier, un déversement de pétrole se produisit à la hauteur du km 441 sur le 2ème tronçon de l’oléoduc Nord-péruvien à Baguá, département de Amazonas tout au nord du Pérou. Neuf jours plus tard un autre écoulement avait lieu sur le tronçon nord du même oléoduc dans le district de Morona, département de Loreto.
Ces deux écoulements, estimés à 3000 barils de pétrole, ont affecté les ríos, les cultures, la faune et la flore d’une vaste zone de l’Amazonie péruvienne, mais ils ont aussi privé d’eau et d’aliments des dizaines de communautés, tout en provoquant des maladies sévères parmi les habitants. L’Institut National de Défense Civile a reconnu que plus de six mille personnes avaient été touchées par la crise environnementale, mais les organisations sociales avancent le chiffre de dix mille, en majorité indigènes.
Ces désastres écologiques ont eu une vaste répercussion au niveau international grâce à un message diffusé par Twitter par l’acteur Leonardo Di Caprio, qui exhortait les lecteurs d’envoyer un message au Président du Conseil des Ministres, Pedro Catenario.
Plusieurs vidéos ont en outre circulé sur les réseaux sociaux et divers médias, mettant en évidence l’ampleur du désastre. Mais tous les épisodes de ce type ne bénéficient pas de la même répercussion et passent inaperçus pour le reste du monde, sauf pour ceux qui sont directement touchés. L’oléoduc qui transporte le pétrole extrait de la région amazonienne péruvienne sur 854 km jusqu’au terminal de Bayóvar sur la côte nord, fut construit dans les années 70.
La situation de l’infrastructure de l’Oléoduc Nord-péruvien est fort préoccupante et probablement désastreuse. Au cours des cinq dernières années, cette conduite a souffert une vingtaine de ruptures, selon un rapport de l’OEFA (Organisme d’Evaluation et de Fiscalisation Environnemental). « Les deux dernières ruptures ne sont pas des cas isolés. Il s’est produit précédemment des urgences similaires à cause de failles sur le trajet de cet oléoduc », souligne l’OEFA.
Il y a moins d’un an, 370 000 litres de pétrole se sont déversés dans la région du Loreto. L’OEFA affirme que les déversements de brut sont dus à la détérioration de l’oléoduc Nord-péruvien, dont les tuyaux souffrent de corrosion car l’entreprise d’Etat ne procède pas à l’entretien préventif exigé. Selon le président de Petroperú, pour ce type de situation le personnel spécialisé « place des agrafes sur le point de rupture afin d’éviter que le pétrole continue de couler. Une fois les agrafes placées on commence à contenir le pétrole déjà coulé dans des barrières de contention, de manière à former des « piscines artificielles » et ensuite on procède à la récupération du pétrole ».
Le Président de l’Organisation Régionale des Peuples Indigènes de l’Amazonie Nord dénonce devant la presse que Petroperú offre 10 soles (2,8 dollars) aux habitants de la zone pour chaque seau de pétrole recueilli.
« Un total de 200 personnes viennent travailler, dont des enfants qui ne se rendent pas compte que le pétrole est toxique pour leur corps. Petroperú est plus préocccupé de récupérer le pétrole perdu que de nettoyer la zone affectée et de porter assistance aux communautés qui voient maintenant leur principale source d’eau polluée ».
Des rapports du Ministère de la Santé signalent que 120 enfants et 490 adultes ont été en contact avec le pétrole et que beaucoup d’entre eux ont souffert de maux de tête, vomissements, diarrhées et irritations de la peau…
Tout permet de supposer que les accidents survenus en début d’année ne seront pas les derniers. Le Ministre de l’Environnement du Pérou, Manuel Pulgar Vidal, s’est chargé d’alerter sur la possibilité de nouveaux déversements de pétrole. Il a aussi demandé à l’OEFA d’appliquer à l’entreprise une amende de 59 millions de soles (environ 16 millions de dollars)…
Cependant il est assez peu probable que l’entreprise finisse par payer une amende, comme le démontre la longue histoire des fuites pétrolières au Pérou. En octobre 2000 eut lieu le premier de la longue liste des 60 déversements de pétrole et d’hydrocarbures enregistrés par la presse jusqu’à ce jour.
Ce furent 5500 barils de pétrole de l’entreprise Pluspetrol qui s’écoulèrent dans la nature, et cet épisode aura un impact écologique sur les 20 années à venir, selon l’Institut d’Investigations de l’Amazonie péruvienne. Pluspetrol reçut une douzaine d’amendes pour infractions à l’environnement mais ne les paya jamais…
Tous ces déversements se produisent non seulement par la rupture des conduites mais aussi par les activités dérivées de l’exploitation des gisements, les accidents de camions-citernes sur les routes, les avaries dans les bacs qui transportent les hydrocarbures, etc.
Les « accidents » comme ceux enregistrés dans les régions de Loreto et Amazonas ne sont pas dus au hasard. Ils font partie du commerce du pétrole. Un épisode de déversement pétrolier tous les 3 mois cesse d’être une éventualité pour devenir une certitude. Cette année un troisième écoulement a été dénoncé le 16 février dans la région de Cajamarca mais Petroperu informa qu’il s’agissait d’un « écoulement contrôlé » dû à des travaux de maintenance.
Chaque fois les autorités réagissent avec des amendes et annoncent de nouvelles exigences auprès des entreprises. Mais la seule certitude est que rien ne change… Et les communautés qui vivent près de la forêt continuent de souffrir des effets d’un négoce qui alimente le confort et le style de vie des autres qui vivent à des centaines de km des lieux impactés.
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