(Article de Sergio Ferrari, publié par Rebelion – 20/07/2016 – Trad.B. Fieux)
Notre arrivée dans la capitale de ce pays sud-américain au début de 1981 se fit par voie de terre : avec le « Ticabus » qui parcourait alors en 12 heures les 420 km de San José (Costa Rica) à Managua. Le point d’arrivée : une station de bus improvisée dans le « centre » historique inexistant de Managua, anéantie par le tremblement de terre dévastateur de décembre 1972.
Managua, l’une des rares – peut-être l’unique – capitale planétaire avec des décombres pour points cardinaux, confrontait très vite le voyageur à une réalité pleine de certitudes historiques. Il y avait eu la corruption généralisée avec les fonds internationaux de reconstruction d’après le séisme, ce qui précipita la déroute d’Anastasio Somoza Debayle, dernier maillon d’une dynastie familiale qui avait gouverné le pays à feu et à sang pendant plus de 40 ans.
Une société mobilisée, un peuple insurgé et un groupe de jeunes guérilleros du Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) entraînèrent la chute du dernier des Somoza le 19 juillet 1979. Malgré les quatre décennies de dictature féroce et la victoire insurrectionnelle indiscutable, la consigne des vainqueurs fut le pardon comme unique condamnation aux vaincus. La Garde Nationale en débandade, le dictateur en fuite vers Miami dans l’avion présidentiel, et l’obligation pour les jeunes de construire un nouvel Etat à partir du néant. Le Nicaragua, après le chaos du tremblement de terre et les restes d’une dictature sanglante, apparaissait comme le nouveau scénario latino-américain de la révolution possible et de l’imagination au pouvoir.
Notre première tâche de coopérants internationalistes dans cette nouvelle nation centro-américaine fut celle d’enseignants populaires à Ciudad Sandino, barrio ouvrier et populaire à 13 km des éboulis qui indiquaient l’antique centre, seulement identifié par la vieille cathédrale en ruines.
L’éducation d’adultes était l’un des programmes essentiels de ce nouveau pays en reconstruction accélérée. C’était la suite logique de la Croisade Nationale d’Alphabétisation qui, en 5 mois à peine, de mars à août 1980, avait permis de réduire l’analphabétisme de 50% à 13%, provoquant la surprise de la communauté internationale et la reconnaissance euphorique de l’UNESCO.
Pour y parvenir, le nouvel Etat eut recours à la fermeture temporaire des écoles et universités et mobilisa massivement des milliers de jeunes étudiants, certains encore enfants, les dispersant jusque dans les coins les plus reculés du pays. Cette école de vie, pure pédagogie participative, devint le sceau distinctif de la révolution populaire sandiniste, bousculant l’âme d’une société civile planétaire qui rendait hommage au nouveau gouvernement de Reconstruction Nationale.
Si le Nicaragua vibrait devant la force du changement juvénile, en Amérique Latine, en Europe et en Amérique du Nord, on ressentait les ondes du nouveau séisme – politique cette fois -, et une coopération internationale (ou militance internationaliste) jusqu’alors inexistante, commençait à prendre forme et à se manifester activement.
Il ne fut pas difficile d’adhérer à cette nouvelle espérance née d’une des nations les plus pauvres d’Amérique Latine. « La solidarité internationale est la tendresse des peuples », clamait alors l’un des dirigeants historiques du FSLN. Et la sympathie active envers le modèle sandiniste s’appuyait sur quatre piliers nouveaux pour une révolution armée : le pluralisme politique, l’économie mixte, le non-alignement international et la participation populaire active dans chaque tâche nationale de la nouvelle étape.
Les chrétiens progressistes occupaient une place remarquable dans le nouveau panorama social. La Théologie de la Libération vit matérialiser ses dogmes transformateurs et « entre christianisme et révolution il n’y a pas de contradiction », devint une consigne rafraichissante dans ce continent où les Eglises affichent depuis toujours un pouvoir important, que ce soit pour conserver ou pour transformer.
Nous avons continué à travailler mais aux tâches courantes. Puis nous avons fait des incursions dans le journalisme actif et dans la santé publique. L’euphorie populaire continuait mais au nord du pays apparaissaient les premiers signes d’agression. Début 1984 ce fut le blocus des premiers ports nicaraguayens et les premières actions armées antisandinistes depuis les frontières voisines, tant au sud qu’au nord. L’agression massive obscurcissait l’horizon. Et en six ans à peine, l’effort pour construire un autre modèle de démocratie participative se diluait face à la guerre imposée. Presque 40 mille victimes dont des dizaines d’internationalistes, et au moins 17 mille millions de dollars de pertes, l’équivalent de 50 années d’exportations, selon le Tribunal de La Haye, anéantirent le rêve sandiniste de « l’aube qui a cessé d’être une tentation ».
Managua, la ville des paradoxes en ruines. Nicaragua, le pays de l’imagination au pouvoir, menacé. Ce pays aux portes ouvertes… Pays de l’innovation politique, de la jeunesse convertie en dirigeante de l’histoire – la majeure partie des leaders sandinistes avaient entre 25 et 30 ans en 1979 -, pays de « l’allégresse de la liberté dans la création, sa fête continuelle », selon Cortazar. « J’en suis convaincu, disait l’écrivain argentin, c’est une chose que je ressens de plus en plus fort à chacune de mes visites à ce pays, ceci sera la culture de son peuple dans le futur : ferme dans ce qui lui est propre et en même temps ouverte à tous les vents de la création et de la liberté de l’homme planétaire ».
Et aujourd’hui, le retour au Nicaragua. Pour rendre hommage à ceux qui ne sont plus mais qui continuent d’être. A ceux qui s’en allèrent sans partir. Pour revenir franchir le portail de cette maison ouverte, immense, infinie…
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