(Paolo Moiola, de Noticias Aliadas – entrevue avec le Père Antonio Bonanomi, 10/11/2016 – Trad. B. Fieux)
Le département du Cauca a été un théâtre de guerre important où se sont affrontés des groupes de guérilleros, l’armée nationale et des indigènes. Le nord du Cauca est un lieu stratégique pour la communication entre le sud et le nord du pays et par sa proximité avec la ville de Cali. Depuis le début du conflit armé en 1964, les FARC se sont installés dans ce territoire, formant le « Sixième Front ». Par la suite, d’autres groupes armés sont arrivés ( le M-19, dissous en 1990, le Quintin Lame et le PRT, tous deux dissous en 1991.) En réponse arrivèrent la Police Nationale et l’Armée, et c’est ainsi que la zone se convertit progressivement en l’un des principaux scénarios de guerre aux conséquences néfastes pour la population civile, composée à 95% de personnes appartenant au peuple indigène Nasa.
Le Père Bonanomi a vécu de 1988 à 2007 dans le nord du Cauca, où il travaillait comme coordinateur d’une équipe missionnaire. Il quitta le Cauca et la Colombie en 2014 pour raisons de santé, mais continue d’accompagner les communautés indigènes du nord du Cauca à travers les réseaux sociaux.
Paolo Moiola, collaborateur de Noticias Aliadas, converse avec le Père Bonanomi.
P.M. Dans le plébiscite, une petite majorité des Colombiens, – un peu plus de 6 millions sur les 13 millions qui sont venus voter -, ont dit NON aux accords signés entre le gouvernement du président Santos et les FARC. Pourquoi ce résultat et que se passera-t-il à présent ?
Le vote montre un pays fortement divisé, avec une majorité qui n’a pas voté (66%). Après ce référendum, tous, votants ou non, ont affirmé qu’ils voulaient la paix.
On peut comprendre qu’il y ait différentes raisons pour le NON à l’accord : certains ont dit NON pour des raisons économiques, parce qu’ils sentent que leurs intérêts se verraient affectés; d’autres pour des raisons politiques, par crainte de perdre un peu de pouvoir; d’autres encore pour des raisons religieuses, parce qu’ils croyaient que l’accord ouvrirait la porte à des groupes communistes, athées et favorables aux droits civils des « différents »…
La victoire du NON est la victoire d’un projet de pays, culturellement néo-conservateur, économiquement et politiquement néolibéral.…
Il est important d’accepter le défi, et de continuer à travailler sans répit et sans perdre de vue une idée nouvelle de pays : un pays plus humain, plus juste et plus ouvert aux minorités et par conséquent plus inclusif.
Selon les rapports internationaux et les informations des grands médias, depuis la décennie 1990 les FARC se sont transformés d’organisation de guerilla en un cartel de narcotrafiquants qui touche des millions de dollars. Cette représentation est-elle proche de la réalité ou bien a-t-on exagéré pour des raisons politiques ?
On a souvent eu l’occasion de parler de ce thème avec quelques responsables du « Sixième Front » et ils m’ont expliqué que, au milieu des années 80, les principaux groupes guerilleros, les FARC et l’ELN (Armée de Libération Nationale), pensaient que c’était le moment de la lutte finale pour la victoire de la révolution et pour cela ils avaient besoin d’autres hommes armés. Par conséquent, ils prirent la décision d’ouvrir les portes à tous ceux qui se présentaient afin d’avoir le nombre maximum de combattants. Cette décision eut comme effet d’accroitre les dépenses pour armer et financer les nouveaux recrutés. C’est pourquoi ils ont eu recours au séquestre et au narcotrafic.
Ainsi la guerrilla est devenue aussi un acteur du narcotrafic ?
Je m’explique. Normalement, les FARC se contentaient de mettre un impôt sur la production et la commercialisation de drogue, en profitant du fait qu’elles avaient été cultivées principalement dans les zones dominées par eux. Pour autant, les FARC n’étaient pas producteurs ni vendeurs de drogues (cocaïne, marihuana, pavot). En fait quand ils le pouvaient, ils obligeaient les agriculteurs à utiliser une partie de leurs terres pour la production d’aliments.
Il semble que, dans certains cas, il y eut aussi des groupes de FARC qui participèrent au trafic de drogues, créant ainsi de facto un cartel de narcotrafic. D’après ce que m’ont expliqué des personnes du « Sixième Front », la décision d’accueillir tous ceux qui se présentaient, puis celle d’entrer dans le monde du narcotrafic furent la pomme de discorde au sein du mouvement, du fait que ces deux décisions avaient créé un climat de méfiance mutuelle et de tentation de corruption.
Pour finir, il faut signaler qu’en Colombie, durant les 30 ou 40 dernières années, toutes les personnes de pouvoir – politique, économique, militaire, judiciaire et dans certains cas même, religieux -, ont profité des bénéfices du trafic de drogues. Bref, peu de personnes peuvent lancer la première pierre.
Quel a été le rôle de l’Église Catholique colombienne dans le dialogue entre les parties en conflit ?
Il n’est pas facile de parler de l’Église Catholique colombienne parce que c’est une réalité très vaste et complexe. Il y a toujours eu des voix et des gestes prophétiques, mais la hiérarchie et le peuple catholique dans sa majorité ont pris des positions conservatrices et d’opposition au changement. On note dans ce sens les figures du cardinal Alfonso López Trujillo, Darío Castrillón et l’actuel archevêque de Bogotá, le cardinal Rubén Salazar Gómez. En général, il s’agit d’être d’accord avec ceux qui détiennent le pouvoir et de rejeter toute proposition de changement, au point que beaucoup incluent l’Église Catholique parmi les responsables de la violence en Colombie.
Ceci a amené de nombreux catholiques à appuyer le NON, non pas qu’ils s’opposaient à l’accord, mais parce qu’ils s’opposent au changement proposé, surtout sur le plan culturel, dérivant de l’accord.
Ce que le vote a mis en évidence c’est qu’en Colombie, la majorité, pour diverses raisons, n’est pas disposée à pardonner et à se réconcilier. Dans ce sens, je crois à ce qu’a apporté Mgr Luis Augusto Castro, – qui comme président de la Conférence Épiscopale ne pouvait pas se prononcer en faveur du OUI du fait de l’opposition de nombreux évêques à cette option -, c’est la proposition d’un processus éducatif ou d’une pédagogie de la paix pour éduquer les Colombiens au pardon, à l’inclusion et à la réconciliation.
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