(CELAG = Centre Stratégique Latino-américain de Géopolitique ;
Ava Gómez, Bárbara Ester et Pablo Wahren – 05/06/2017 – Trad. B. Fieux)
La Colombie, le Pérou et la Bolivie sont les trois principaux producteurs de feuille de coca en Amérique du Sud. Durant la dernière décennie, la Colombie et le Pérou se sont disputé la première place quant à la production mondiale de cette culture. Dans le même temps, la Bolivie réussissait à réduire et stabiliser la quantité de ses cultures sans recourir à la violence ni à des fumigations aériennes. De cette façon, la Bolivie maintenait pour la seconde année consécutive ses cultures de coca sur une superficie de 20 000 hectares, alors que six ans plus tôt elles atteignaient 31 000 ha.
Inversement, la Colombie passa de 47 790 ha semés en 2012 à 96 084 ha enregistrés récemment à l’Officine des Nations Unies contre la Drogue et le Délit (UNODC). Pour sa part, entre 2011 et 2013, le Pérou se couronna comme principal producteur; cependant, au cours des années qui suivirent, sa superficie cultivée diminua au moyen d’intenses opérations conjointes, comptant avec l’intervention des forces de sécurité et la mise en marche de programmes sociaux.
A l’inverse de la proposition de la DEA (Administration pour le Controle des Drogues) et de l’Union Européenne, la stratégie bolivienne, – à la différence de la Colombie et du Pérou -, ne mise pas sur la violence, mais pratique une éradication concertée et volontaire des excédents de plantations de coca. Pendant ce temps, les Etats-Unis – le principal consommateur mondial de chlorhydrate – continue d’inclure la Bolivie dans la liste des pays qui ne luttent pas contre le narcotrafic.
Le 18 avril dernier, l’ONU recommandait à la Colombie la substitution volontaire de cultures illicites et un modèle de développement alternatif. Toutefois, l’accord de l’aide nord-américaine est associé aux fumigations aériennes, en relation directe avec l’impact sur la santé des populations affectées.
En Colombie, après la signature de l’Accord de Paix avec les FARC-EP, les défis qu’affronte le gouvernement colombien pour rendre effectifs les accords sont divers. L’une des grandes difficultés que rencontre le pays concerne la situation sociale, difficile en général surtout pour le secteur rural. La Colombie est devenue le second pays de la région pour l’inégalité, dépassant de 10% la moyenne des inégalités régionales, selon la CEPAL.(Commission Economique pour l’Amérique Latine-Caraïbes).
Alors que les 10% les plus pauvres de la population reçoivent seulement 1% du revenu généré par l’économie en un an, les 10% les plus riches en obtiennent 42%. Un autre chiffre qui reflète cette situation d’inégalité est le salaire minimum, qui se situe à 240 dollars et qui est le 3e le plus bas de la région. Et ceci s’aggrave si on tient compte que 6 sur 10 des travailleurs colombiens gagnent moins que le minimum. Pour finir, il faut souligner que 48% d’entre eux sont dans le secteur informel, c’est-à-dire qu’ils ne disposent pas des droits de base que la Constitution a établis.
En 2013, 22% de la population rurale était dans l’extrême pauvreté, 42% des foyers en insécurité alimentaire et la pauvreté des revenus atteignait 59%. 75% de la population rurale gagnait 70% d’un salaire minimum. Concernant le logement, alors que 97% des foyers urbains disposaient de l’eau courante, ce chiffre stagnait à 60% dans les foyers ruraux.
Parmi les principaux facteurs expliquant cette dramatique situation, il y a la concentration des terres. 69,9% des unités productives ont moins de 5 ha mais occupent à peine 5% de toute la zone rurale.
Autre aspect qui rend difficile la voie vers une solution : l’absence d’investissement en infrastructure. Par exemple, le Forum Economique Mondial signale que la Colombie occupe le dernier rang de la région en ce qui concerne la qualité de ses routes et chemins.
Dans le secteur agraire, les difficultés ne se limitent pas au problème de propriété des terres, mais à la situation face aux alternatives économiques et à l’usage de la terre que suppose notamment la substitution des cultures illicites. Au début de l’année, le gouvernement a mis en route un « Programme National de Substitution aux Cultures Illicites » en y associant des organisations sociales et des communautés.
Ces projets productifs associés à une assistance technique ont eu un certain succès, grâce aux bénéfices que les participants en retiraient. En mai 2017, 23 accords de substitution avaient été signés et les projets de cultures correspondants couvraient 63 000 hectares.
Cependant des difficultés sont rapidement apparues : assassinats de leaders sociaux et de défenseurs des Droits Humains sur tout le territoire; dissidence du groupe « Front n° 1″ des FARC-EP, refusant d’accepter la politique de substitution et faisant pression sur les paysans du Guaviare pour qu’ils ne suppriment pas leurs champs de coca, et pression aussi sur le gouvernement en séquestrant un fonctionnaire qui accompagnait le processus de substitution.
Au Pérou le scénario est semblable. Le salaire minimum est l’un des plus bas de la région. Selon l’OCDE, 7 travailleurs sur 10 sont dans le secteur informel. Le Ministère du Travail et de l’Emploi a enregistré que 80% des jeunes travaillent au noir, et même 90% en zones rurales.
Si la Colombie est le pays avec le plus d’inégalités, le Pérou est le second avec 77% de la terre qui est propriété de 1% des grands propriétaires terriens. L’ONG Oxfam, dans son rapport » Terre, pouvoir et inégalités en Amérique Latine » , souligne que la concentration de terres et le modèle extractiviste d’exploitation des ressources naturelles de la région ont certes aidé les économies régionales à croître, mais ont en même temps accentué les inégalités.
Parmi les secteurs les plus touchés on trouve les paysans et les peuples originaires. L’injuste distribution s’accentue par la violence. Dans les lieux où les activités extractives ont proliféré, les conflits territoriaux se sont multipliés et les indices de violence se sont répandus de manière alarmante contre ceux qui défendent l’eau, les forêts et les droits des femmes, et les communautés paysannes, indigènes et afrodescendantes.
La présidente de la « Commission Nationale pour le Développement et la Vie sans Drogues » affirmait que selon des estimations pertinentes, le Pérou compte une superficie cultivée qui oscille entre 40 300 et 53 000 hectares de champs de coca illégaux, répartis dans 14 vallées. Le volume de chlorhydrate produit est de 300 à 400 tonnes par an. Ses déclarations sont liées à l’approbation par une partie de l’Exécutif de la Stratégie Nationale de Lutte contre les Drogues.
Le gouvernement péruvien envisage d’éradiquer 25 000 hectares de champs de coca pour 2021, exécutant un plan intégral multisectoriel afin d’établir une présence plus effective de l’Etat dans les zones critiques, comme dans les Vallées des Ríos Apurimac, Ene et Mantaro (VRAEM), où on a calculé qu’existent 19 000 ha de surfaces cultivées en coca. Paradoxalement, il n’y a pas eu de réduction de l’espace en coca malgré un investissement de 8 000 millions de Soles ( environ 2 500 millions de dollars).
Les fonctionnaires soutiennent que le problème du VRAEM, entre autres facteurs, est particulièrement compliqué de par sa topographie et la présence de membres du Sentier Lumineux (SL) alliés au narcotrafic. Et ce n’est pas le seul acteur politique lié à la culture illicite : Kenji Fujimori, – du fujimorisme, force politique majoritaire -, actuellement membre du Congrès, est liée au narcotrafic depuis les années 90.
Un des cas emblématiques fut la confiscation de plus de 100 kilos de cocaïne dans les entrepôts de l’entreprise Limasa, dont Kenji Fujimori est actionnaire majoritaire. Ce fait fut enquêté par la Commission d’Ethique du Congrès et non par le Ministère public. Le spécialiste en narcotrafic, Jaime Antezana, affirme qu’entre 1991 et 1996 sous l’égide du président Alberto Fujimori, le Pérou opérait comme un « Etat-narco ». Le scandale qui eut le plus de répercussion fut la saisie en mai 1996 de 170 kilos de cocaïne dans l’avion présidentiel.
Conclusion.
Les difficultés socio-économiques, infrastructurelles et les capacités d’accès de la population rurale, en particulier des jeunes, aux alternatives de travail autres que celles liées aux cultures illicites, sont des facteurs qui font penser à la nécessité d’élaborer tout un ensemble orienté vers les possibilités de ces communautés, et les efforts de l’Etat en tant que garant de l’accès des jeunes aux alternatives d’éducation, du développement infrastructurel qui permette l’effectivité de leurs projets productifs et des opportunités de commercialisation, en tentant de générer des stratégies capables de rompre de manière effective avec le circuit économique des cultures d’usage illicite. Tout cela réalisé dans un cadre d’accompagnement et de vérification de l’effective consolidation du changement structurel.
Toutefois, l’avancée dans cette matière semble évoluer dans une perspective sans coordination, dans laquelle se développeraient des stratégies de confiance, de sécurité et durabilité pour le monde paysan, acteur fondamental de la réforme structurelle de la campagne. La Colombie constitue un cas témoin où le paramilitarisme et les groupes dissidents continuent de faire pression sur les communautés pour forcer leur poursuite des activités de circuit économique des cultures d’usage illicite. L’alerte dans les zones rurales affectées par ces nouvelles dynamiques du conflit a déclenché une vague de protestations dans tout le pays. Face à cela, le gouvernement semble distrait et son action s’est orientée vers la répression des communautés qui demandaient une Colombie pacifiée. Cette attitude devrait être corrigée d’urgence car la paix ne peut se faire en tournant le dos aux communautés mais doit se réaliser avec elles en résolvant les dissidences et en trouvant des consensus pour avancer vers un objectif meilleur…
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