(Arnaldo Pérez Guerra, Noticias Aliadas, 14/06/2017 – Trad. B. Fieux)
Les migrants affrontent les préjugés, la xénophobie et le racisme, outre les obstacles bureaucratiques qui ne reconnaissent pas leurs qualifications.
En 1992, le Chili enregistrait 100 000 immigrés ; en 2013, ils surpassaient les quatre cent mille et aujourd’hui, un peu moins d’un demi-million. Ils se sont installés principalement dans la région Métropolitaine, Valparaiso et le nord, et travaillent majoritairement dans les services, les mines, l’industrie, l’agriculture, la construction, l’éducation et la santé.
Selon l’enquête de Caractérisation Socio-économique Nationale (CASEN 2009), 54% des immigrés sont des femmes. Pour le Département des Etrangers et de la Migration (DEM), le total des immigrés représente 2,08% de la population nationale de 18 millions d’habitants. 73% proviennent de l’immigration sud-américaine : Pérou 31,7% ; Argentine 16,3% ; Bolivie 8,8% ; Colombie 6,1% ; Equateur 4,7% ; Brésil 3% et Venezuela 1,9%, selon les chiffres de 2016.
En 2005, le Chili ratifie la Convention Internationale sur la Protection des Droits de tous les Travailleurs Migrants et de leur Famille, adoptée par les Nations Unies en 1990, mais la législation interne ne s’est pas encore adaptée au règlement international. La législation chilienne ne garantit pas le principe de réunification familiale établi dans l’article 44 de la Convention. Autre situation anormale : celle de filles ou garçons dont les parents se trouvent en situation irrégulière. Ils sont qualifiés d’« enfants d’étrangers de passage », ce qui ne convient pas à la Convention Internationale sur les Droits de l’Enfant, puisque cela donne lieu à l’existence d’enfants apatrides, et les prive en outre de l’accès aux politiques publiques de protection de l’enfance.
Au cours des dernières années les flux de migrants provenant de Colombie et Haïti ont augmenté. Préjugés sociaux et culturels, classisme et racisme, – qui se produisent également avec la population chilienne aux faibles revenus, mapuches ou autres peuples indigènes – affectent particulièrement les afrodescendants colombiens, dominicains et haïtiens. Toutefois, le niveau éducationnel moyen des migrants est de 12,6 ans, plus élevé donc que celui des Chiliens en âge de travailler qui est de 10,3 ans.
La population migrante représente 5% de la main d’œuvre (CASEN 2013) et 65% travaillent comme employé ou ouvrier, 62% dans le secteur privé et 8,4% dans les services domestiques. Parmi les femmes migrantes, 34% travaillent dans cette dernière catégorie et dans des conditions précaires : salaire minimum, travail informel et non respect de la loi. Selon le DEM, en 2011, alors que les hommes étaient salariés, seulement 48% des femmes au travail avaient un contrat.
Selon Manuel Hidalgo, économiste péruvien et dirigeant de l’Association d’Immigrés Pour l’Intégration Latino-américaine et Caribéenne (APILA), les barrières administratives sont dues à la complexité chilienne du processus de reconnaissance des titres et capacités obtenus à l’extérieur.
Un cas complexe est celui d’Haïti, pays qui n’a signé aucun accord avec le Chili. Cet accord existe avec 12 pays, et constitue une autre barrière pour accéder à des emplois comme professionnel dans le secteur public, car dans nombre d’entre eux il faut être nationalisé. Les barrières socio-culturelles sont celles de la méfiance, des préjugés sociaux et culturels des employeurs, liés à un certain nationalisme mêlé de racisme, qui crée des difficultés pour que soient reconnues les compétences, le niveau d’éducation, la qualification et l’expérience des immigrés.
Centres de détention.
Rodolfo Noriega, avocat et président du Comité de Réfugiés Péruviens au Chili, indique à Noticias Aliadas que « le projet de Loi sur la Migration possède un Registre Secret des Immigrés, dépendant du Ministère de l’Intérieur. Pourquoi un registre spécial ? Si on réserve aux seuls policiers l’accès à ce registre, il est évident qu’on associe la présence des immigrés à un problème de sécurité ».
« Le plus préoccupant, ajoute-t-il, est qu’il existe des centres de détention particuliers : nous en avons identifié un, rue Seminario 11, à Santiago. La police a été obligée de le reconnaitre devant la Commission des Droits Humains du Sénat. Le chef national de la Police Internationale a dû reconnaitre que c’était un centre de détention pour étrangers. »
Hidalgo précise que « le projet sur la migration que la présidente Bachelet s’est engagée, dans son programme de gouvernement, à substituer à celui de l’ex-président Piñera, n’est pas encore envoyé. Piñera avait envoyé son programme en 2013, et reçu l’annonce du rejet unanime de l’académie, des organisations religieuses, et de toutes les communautés de migrants. Deux ans plus tard, rien n’a été fait. »
Dans l’optique des élections présidentielles de novembre prochain, la droite a commencé à utiliser le discours xénophobe comme argument électoral. La dernière enquête du CEP (Centre d’Etudes Publiques, non gouvernemental) en avril-mai 2017, rend compte de « la valeur de l’apport culturel et économique de la migration, de son goût du travail, de son droit d’accès à l’éducation dans des conditions égalitaires ». Ils gagnent des espaces de plus en plus grands dans la société chilienne, effaçant le mythe selon lequel ils prennent le travail des Chiliens. « Mais on observe aussi que la venue des migrants élève les indices de criminalité, qui atteignent maintenant 41%. Ceci montre l’impact de la propagande du populisme de la droite, qui prétend utiliser ce thème sur le plan électoral », soutient Hidalgo.
Non respect des Droits Humains.
Dans la Revista Sur, la journaliste Barbara Barrera a dénoncé que dans la rue San Luis, commune de Quilicura, près d’une centaine de migrants vivent « dans des conditions de promiscuité, dans une pièce de 15 m² qui leur coûte 130 000 pesos (195 $) mensuels avec deux toilettes et une cuisine. Guedelin Orzil, haïtienne, dut accoucher dans un fauteuil roulant à l’hôpital de San José, à Santiago, parce que le personnel ne voulait pas lui prêter assistance ; son fils tomba sur le sol et l’hôpital ne voulut pas l’examiner. De telles situations mettent en évidence la nécessité de politiques publiques qui permettent d’améliorer la qualité de vie des immigrés. »
Selon Noriega, le rapport de la CEPAL (Commission Economique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes) et l’OIT (Organisation Internationale du Travail) publié le 11 mai, rend compte d’un fait déjà constaté : 79% des immigrés au Chili ont un niveau de scolarité de 10 ans ou plus, bien qu’une grande partie travaille dans des activités manuelles et domestiques.
« Il existe une série de conditions pour que les immigrés qui ont une qualification soient employés dans leur profession », dit Noriega. « La première est d’avoir un lieu de résidence fixe et des papiers d’identité. Un autre problème est la reconnaissance de leurs études et diplômes ». Ainsi les situations de sur-qualification se joignent souvent à l’irrégularité migratoire, au manque de reconnaissance des études, situation qui affecte particulièrement les Péruviens, les Colombiens et Boliviens, et surtout les personnes non hispanisantes : les Haïtiens, les Népalais, les Philippins et les Africains.
Hidalgo signale que l’immense majorité des immigrés occupe des emplois dépréciés. « Des emplois dédaignés par la main d’œuvre nationale ou pour lesquels existe un net déficit de possibilités d’emploi, comme celui de nourrice dans le secteur santé. Il ne leur est pas facile d’accéder aux emplois que leurs diplômes et leur expérience leur permettraient, à cause des barrières administratives et socio-culturelles ».
Nombreux sont ceux qui envoient des remesas à leur pays, bien que leurs propres conditions de vie soient lamentables, avec la promiscuité, les déficiences sanitaires, entre autres. Depuis des années, les communautés migrantes exigent le régularisation du visa migratoire, une amnistie pour ceux qui sont en situation irrégulière, mesure que le Chili avait déjà prise en 1997 et 2007-2008.
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