(Gustavo Espinoza M. , dans Rebelión, 23/06/17 – Trad. B. Fieux)
Une centaine de travailleurs des mines, – 86 adultes mineurs et 24 enfants – provenant du Cerro de Pasco , – le cœur minier du Pérou-, sont arrivés récemment dans notre capitale et n’ont pas trouvé de meilleure façon d’exprimer leur drame que de s’enchaîner aux portes du Ministère de la Santé, au n° 7 de l’avenue Salaverry, demandant une attention urgente à leurs problèmes de santé.
Il s’agit d’habitants de la province de Simón Bolivar, qui portent les traces indélébiles des maux qui les accablent : maladies broncho-pulmonaires, leucémie, affections des os, plusieurs variétés de cancers, toutes ces maladies causées par l’action du plomb et du mercure provenant des enclaves minières qui affligent leurs vies.
La « grande presse » a gardé un silence olympien sur leur séjour à Lima. Elle n’a pas eu la courtoisie d’apporter de l’information sur ce thème qu’ elle a jugé de peu d’importance. Le quotidien « La République » s’est tout juste contenté d’insérer une note perdue en page 19 de son édition ordinaire du 20 juin, suggérant que les autorités de santé allaient « s’occuper » de la demande. Les autres, y compris l’auto-dénommée « presse de gauche », se sont tus dans toutes les langues.
Le cas est poignant, sans doute. Les enfants très jeunes – 7, 8 et 10 ans – crachent le sang et ont les poumons attaqués par le plomb de la mine. Presque à mi-voix, ils nous apprennent qu’ils boivent l’eau empoisonnée des installations minières et souffrent de douleurs constantes de la tête, du ventre et des articulations. Ils sont venus parce que dans leur zone le poste médical manque de professionnels de santé et n’a pas de médicaments. Autrement dit, il ne sert à rien.
La province affectée se trouve à 4890 m au-dessus du niveau de la mer. Et à cette altitude les médecins ne viennent pas, l’air manque. Et les autorités n’y construisent pas des hôpitaux mais des prisons dans lesquelles elles cherchent à enfermer les « dangereux délinquants ».
Il serait moins cher pour elles d’enfermer ces délinquants dans une Chambre Frigorifique, au Callao, où ils ressentiraient la rigueur de températures similaires à celles qui les attendent au Pasco. Toutefois le problème n’est ni les prisonniers ni les températures, mais plutôt les contrats signés pour construire des prisons dans ces régions inhospitalières. Ils génèrent des bénéfices juteux pour certains fonctionnaires.
La faute du drame de ces enfants – et aussi de ces hommes mûrs – ne vient pas seulement de « ce gouvernement » – qui ne les écoute pas -, ni du précédent qui leur avait promis, en 2012, de répondre à leurs demandes. La faute est imputable à tous les gouvernements qui ont toujours encouragé l’activité minière en assurant qu’elle était « la garantie contre la pauvreté », « l’instrument du progrès », ou « l’arme du développement ».
Cerro de Pasco, Huancavelica, Apurímac, et autres régions similaires, sont de réels hauts lieux de la richesse. Depuis les années de la Conquête, et durant tout le gouvernement du vice-roi puis de la République, on a extrait du sol des millions et des millions de tonnes d’or, d’argent, de cuivre, de zinc et d’autres métaux, qui ont permis d’accumuler des fortunes colossales dans les mains des grands consortiums étrangers et des investisseurs privés.
J’ai eu l’opportunité de visiter cette zone dans les années 80, dans ma condition de cette époque : parlementaire de la Gauche Unie. La ville-capitale semblait avoir été bombardée. Partout, et dans chaque rue, des galeries surprenaient le voyageur. C’était des « entrées » de mines qui pullulent là-bas, et tuent à distance, comme les balles.
Aujourd’hui, impénitent, le saccage des énormes ressources accumulées là se poursuit, sans que les autorités fassent quelque chose pour préserver la vie des gens et protéger la santé des travailleurs et de leurs familles.
Notre poète national, César Vallejo, aborda ce thème dans sa nouvelle la plus connue « Tungsteno ». Bien qu’elle se situe dans une autre zone du pays, – le nord, la sierra de La Libertad -, la tragédie de ses protagonistes est la même. Les mineurs de Quiruvilca sont semblables à ceux de Cerro de Pasco. Ils sont unis par la même activité extractive et la même misère. Et aussi, sans doute, l’angoisse devant une vie lugubre et tragique soumise à la cupidité de quelques maîtres puissants.
Peut-être la situation des mineurs de Pasco pourrait-elle servir à émouvoir la conscience des Péruviens ? Et appeler l’attention de tous, afin qu’ils ouvrent les yeux devant une réalité qui brille d’un éclat trompeur. La classe dominante assure que la mine est synonyme de richesse. Elle l’affirme parce qu’elle s’est enrichie grâce à cela, et parce qu’elle vit en parasite tandis que des milliers d’hommes, sur tout le territoire national, arrachent avec leurs ongles le minerai qui remplira ses portefeuilles.
C’est pour cela que sur tous les canaux à son service, elle encourage « l’investissement minier ». Et en même temps, elle insulte avec indignation ceux qui lui font des reproches en arguant de la nécessité de préserver la vie, de protéger l’environnement, et de prendre soin de la biodiversité. Elle les traite « d’anti-mineurs », comme si ce qualificatif servait à les discréditer une fois pour toutes.
Ce qui est survenu il y a quelque temps dans le cas de Cajamarca – le thème de Conga – et plus récemment à Arequipa – vallée de Tambo et Tía María – s’est avéré très instructif.
Le gouvernement et les entreprises se sont obstinés à donner la priorité à l’industrie minière au profit de l’entreprise Yanacocha et Southern. Mais les populations ont lutté courageusement pour s’opposer à cette politique. Aujourd’hui on peut dire, réellement, qu’elles ont protégé, avec sagesse ou intuition, la vie de leurs enfants et leurs propres vies. Si elles n’avaient pas agi ainsi, dans quelques années elle auraient dû s’enchaîner aux grilles d’une quelconque dépendance publique. Et pour le peuple, la mine est liée à la maladie et à la mort, à la douleur et au désespoir. L’industrie minière rend les hommes esclaves parce qu’elle les attache à la terre et leur vole leur vie prématurément.
Ces deux points de vue opposés se sont exprimés dans le Pérou au cours des temps. Mais toujours la classe dominante a préservé les intérêts les plus puissants, ceux liés au Grand Capital. Les travailleurs ont toujours reçu la portion congrue.
Il ne s’agit pas de bannir l’industrie minière en tant que source de richesse. Mais il faut assurer trois choses pour qu’elle le soit réellement : qu’elle ne nuise pas à l’environnement; qu’elle ne tue pas les personnes qui travaillent pour elle, ni la biodiversité; et qu’elle produise de la richesse pour tous et non pour quelques-uns. C’est une leçon que nous donne la vie.
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