(Confidencial, 17/06/2017 – Trad. B. Fieux)
Cette maladie existe aussi au Nicaragua, c’est une maladie qui frappe les travailleurs de la canne à sucre. L’IRC est l’une des calamités de cette région…
Pendant dix ans nous avons vu des gens mourir très jeunes, alors nous avons commencé à enquêter sur ce qui pouvait causer cette insuffisance rénale chronique qui conduisait les travailleurs à une mort prématurée. Seraient-ce les agro-toxiques ? Nous voyions dans les villages à proximité des cultures que les gens tombaient malades et ne pouvaient plus travailler ; quand l’IRC en arrivait au 3e degré, ils ne pouvaient plus rien faire, ni marcher, ni même s’asseoir au soleil, rien.
Mais bien qu’ils soient malades, nous les voyions parfois sortir pour bricoler, faire un petit travail mais sans recevoir aucune pension ou indemnisation. Nous avons consulté des techniciens et des experts pour tenter de comprendre et finalement nous avons entrepris la lutte pour faire cataloguer l’IRC comme maladie professionnelle.
Bien que l’origine de la maladie ne soit pas claire, nous savions qu’on la contracte en travaillant dans la canne à sucre et dans l’ananas, et aussi, dans une moindre mesure, dans la culture de banane et de palme. Dans ces deux derniers cas, le champ est plus ombragé. Nous avons appris que cette maladie a plusieurs causes, elle n’est pas due seulement à la chaleur du soleil mais aussi à l’usage de pesticides et d’insecticides.
Durant cette décennie nous avons fait des réunions pour expliquer aux travailleurs le rôle de ces deux facteurs. « Si tu as une IRC au 1er degré, ça va jusqu’aux chevilles, au 2e jusqu’au nombril, au 3e jusqu’à la poitrine, au 4e jusqu’au cou, et alors tu prends congé de ta famille… » La chose est dramatique et cruelle…
Nous avons obtenu la modification d’un règlement sur le stress thermique mais voilà une situation nouvelle : Beaucoup de gens ont été affectés durant les deux dernières décennies et n’obtiennent plus de travail parce que maintenant, avant d’embaucher du personnel pour les cultures, on leur fait passer un examen pour savoir s’ils ont l’IRC. Même les entreprises sous-traitantes le font et si le candidat au poste a le degré 1 de la maladie, il n’est pas embauché.
Avant on les embauchait même avec le degré 4 de la maladie, alors qu’ils tombaient dans les sillons. Malgré toutes les évidences, l’IRC n’est pas reconnue comme maladie professionnelle au Costa-Rica. Nous avons eu une réunion avec l’OIT et le Conseil de Santé Occupationnel, on a envisagé un règlement interne des maladies du travail pour que l’Etat reconnaisse l’IRC comme maladie liée au Travail dans l’agriculture.
Un travailleur de la canne doit supporter des températures jusqu’à 45°, quand il fait brûler les cannes et ensuite les coupe, c’est le système qu’on utilise encore dans notre pays. Un système qui nuit à l’environnement , à la terre, et surtout – et irréversiblement – au travailleur. C’est une maladie cruelle et sournoise, c’est terrible de voir tant de gens jeunes qui ne savent pas ce qu’ils ont, et quand ils se rendent compte il est déjà trop tard.
Quels sont les principaux symptômes de l’IRC ?
La maladie commence par une faiblesse généralisée, une fatigue extrême, mais comme les porteurs d’IRC s’efforcent de continuer à travailler, cela provoque des maladies collatérales comme l’hypertension.
Quand ils vont voir le médecin, d’abord ils le font avec les professionnels qui travaillent pour les entreprises, ces gens-là sont jeunes et généralement manipulés par les employeurs, ils ne donnent pas un diagnostic correct et quand les malades arrivent à une clinique de la sécurité sociale, la maladie a avancé irrémédiablement.
Quel traitement utilise-t-on?
Généralement dans les étapes avancées on leur fait des traitements palliatifs, c’est-à-dire qu’on ne peut pas les guérir ; l’autre possibilité c’est la transplantation de reins mais les deux alternatives sont très difficiles. Ils sont licenciés, sans protection, abandonnés…
A-t-on des données statistiques sur l’IRC ?
Quand nous avons mieux compris de quoi il s’agissait, nous avons commencé à constituer une documentation, en filmant en en discutant avec les malades, qui apportent leur témoignage. Beaucoup d’entre eux sont déjà morts.
Nous expliquons comment ils ont affronté la maladie et quel impact elle a eu dans la communauté. Le dernier cas est celui de Fredy, un homme de 40 ans qui avait commencé à travailler dans l’entreprise à 16 ans. Un homme grand et fort, il mesurait 1,95m. Il a maintenant l’IRC degré 4 et l’entreprise le licencie pour cette raison.
Le syndicat le défend mais il n’y a rien à faire. Nous avons intenté une action en justice il y a deux ans. Le juge a mis six mois pour en informer l’entreprise qui est dans la même communauté. Il y a un mois, j’ai parlé avec la juge pour qu’elle nous aide à faire avancer la demande parce que si cela tarde encore, Fredy risque de ne pas voir le résultat de ce jugement.
Il n’existe pas de protocoles administratifs pour traiter ces cas. C’est la même chose que d’être dans le corridor de la mort. Fredy n’aura pas accès à une greffe de rein, et n’a pas de ressources pour payer une opération de ce type dans un autre lieu.
Et quand il va faire une dialyse, le calvaire commence, parce que pour que la sécurité le prenne en charge, il doit faire quatre heures de bicyclette sous une chaleur accablante. Il revient complètement détruit. Il n’a pas de quoi vivre, que de petites aides du syndicat et de ses voisins. Pas de mécanisme institutionnel en mesure de répondre à sa demande de pension pour incapacité, c’est terrible.
Comment s’est-on rendu compte que sa maladie est liée à son travail ?
Notre syndicat fut pionnier dans ce cas. La préoccupation pour l’IRC n’avait pas encore commencé au Nicaragua, lorsqu’en 1998, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait beaucoup de gens malades et l’idée nous est venue de faire des examens préventifs aux travailleurs.
Nous nous sommes rendus à l’hôpital de Punta Arenas et là, nous avons trouvé de l’écoute. Le directeur de l’hôpital a envoyé une équipe de 30 médecins et nous avons commencé à connaitre cette maladie. C’est ainsi qu’a commencé le contrôle préventif, à l’initiative du syndicat, et non de la sécurité sociale ou des autorités sanitaires. Mais la majorité des travailleurs sont des migrants qui retournent dans leur pays d’origine et ne sont pas enregistrés ici.
A quoi doit-on une telle insensibilité de l’Etat devant ce problème ?
A ce que l’Etat est totalement coopté par les multinationales et les chambres d’entreprise financent le mouvement solidariste.
L’Etat a converti les syndicats « jaunes » en organisations avec rang constitutionnel, ils ont la même validité qu’un syndicat de classe. Tout cela par pression des entreprises. Le thème de la santé des travailleurs et travailleuses n’est pas un thème pour l’Etat, ni pour les syndicats. L’Etat social de droit est tombé dans notre pays et ironiquement on impute aux travailleurs migrants la chute des services de la sécurité sociale, chose totalement injuste.
Avez-vous pensé à réaliser une action quelconque ou une dénonciation au niveau international ?
Oui, mais jamais nous n’avons eu les conditions pour avancer dans cette optique. Nous avions les mécanismes probatoires que nous avons à présent. Récemment nous avons pris contact avec le Conseil de Santé Occupationnelle pour coordonner le travail et les investigations, en commençant par un processus de dialogue pour pouvoir déclarer l’IRC comme Maladie Professionnelle. Si cette initiative échoue, alors nous aurons recours à la Dénonciation Internationale.
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