(Ilka Oliva Corado, dans Rebelión, 09/01/18 – Trad. B. Fieux)
Il n’existe aux Etats-Unis ni le rêve américain, ni le rêve doré, ni aucun autre type de rêve qui ne soit celui de la fatigue physique et émotionnelle avant, durant et après les exténuantes journées de travail que vit le sans-papiers.
Partant de là, d’un mensonge, de la déception qui reste en découvrant le montage médiatique et structurel qui nous dit qu’aux Etats-Unis les rêves deviennent réalité et que c’est le meilleur pays du monde pour vivre, le sans-papiers demeure dans un état permanent de crainte d’expulsion. Des quantités de moribonds qui ont pensé qu’aux Etats-Unis ils trouveraient un toit, à manger et des opportunités de développement, demeurent dans les limbes des oubliés. Comme les Afros, et aussi, les Anglais qui luttent pour leur survie dans les égouts des grandes villes. Groupes de gens qui ont été trompés et trahis par tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, louaient ou se faisaient une fausse représentation du pays.
Mis à part la religion et la foi, comme manipulation et sédatif constant que dispensent les stations de radio et de télévision avec des séries comme « La Rosa de Guadalupe » et les livres de la bible, il y a l’alcool et les drogues qui sont insuffisantes pour l’angoisse que vivent chaque fin de mois les masses de sans-papiers.
Vivre aux Etats-Unis n’est pas bon marché et si quand il s’agit de survivre dans ce pays et d’ajuster les ressources pour les « remesas »(*) hebdomadaires, cela engendre une pression émotionnelle qui se répercute physiquement chez les travailleurs journaliers. Un état d’alarme constant, une dépression sévère, le froid, la faim… des angoisses qui se convertissent en maladies qu’ils ne peuvent pas soigner en milieu hospitalier car il n’y a pas de place pour eux. Les maladies s’installent dans ces corps fatigués par tant de travail et tant de douleur.
La loterie se présente alors comme le baume à toutes les angoisses et toutes les maladies, et les médias en espagnol s’en font l’écho. Ils invitent la communauté latine – qui est en majorité sans-papiers – à investir dans des billets de loterie parce que le premier prix est un million, et comme dans un conte de fées extrait de Disneyland, les médias recréent en reportages de dix minutes tout ce qui pourrait changer la vie d’un paria s’il gagnait à la loterie. Dans ces dix minutes tout se convertit en magie, en allégresse, en santé, en abondance. On injecte aux gens le gêne de la félicité et de l’illusion.
Il est très difficile de se maintenir en marge de ces tromperies, et ils sont des millions, ceux qui accourent désespérément aux stands pour y laisser l’argent de leur repas. Ce n’est pas un dollar, ni deux dollars, ils achètent en billets la somme qui aurait payé l’électricité, l’eau, les aliments pour les repas de la semaine. En priant leurs dieux, beaucoup pleurent de foi en recevant les billets des mains du caissier. En priant et faisant des promesses ils retournent aux logements qu’il louent dans des bâtiments délabrés où seuls des latinos sont capables de vivre, de par leur situation légale et économique.
Et ils rêvent d’acheter des maisons, d’acheter des voitures, de sortir leur famille de la pauvreté, de voyager par le monde, de faire des affaires et de prendre le « gueuleton » de leur vie, que jamais ils n’ont pu avoir !
Beaucoup font des rituels avec leurs billets de loterie, les portent bénir à l’église, paient le pasteur ou le prêtre pour qu’il vienne chez eux et leur donne une bénédiction spéciale, parce qu’ils sont sûrs que Dieu est puissant et qu’il peut réaliser les désirs de leur cœur, parce que Dieu sait qu’ils ont souffert et que c’est leur tour d’être heureux, parce que Dieu sait qu’ils sont de bonne foi, parce que Dieu sait, sait…tout ce que le modèle patriarcal leur a injecté pour les manipuler dès l’enfance.
Arrive le jour du tirage… et ils n’ont pas gagné à la loterie, c’est comme une estocade dans leur cœur qui saigne, ils voient la facture d’électricité, la facture d’eau, et le téléphone sonne, c’est le propriétaire de la maison qui réclame le loyer. Le chaos leur tombe dessus, beaucoup deviennent violents avec leurs enfants, crient, les frappent, se vengent sur eux du mauvais sort de n’avoir pas gagné à la loterie.
Beaucoup d’autres se réfugient dans l’alcool et les drogues et ceux qui ont la foi font de l’église leur demeure. Jusqu’à ce que le prochain tirage s’annonce et que de nouveau l’angoisse les saisisse, angoisse de leur misère économique, illusion de pouvoir réaliser enfin le rêve américain, d’être enviés de leurs amis et de leur famille, et ils retombent dans l’abîme profond de l’achat des billets de loterie…
Une histoire sans fin parce que la loterie fonctionne grâce à la misère créée par le système du capital où plus on appauvrit les masses, plus les mafias s’enrichissent en trafiquant au nom de la félicité économique, du rêve doré qui n’existe pas…
(*) Remesas : sommes d’argent que les émigrés envoient régulièrement à leur parenté restée au pays.
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