(Ivonaldo Leite, prof. de l’Université Fédérale de la Paraíba (Brésil)
22/01/2018 – Trad. B. Fieux)
En général, en Amérique Latine, les problèmes associés à la production, au trafic et à la consommation de drogues affectent la qualité de vie de la population et sont liés à des formes d’exclusion sociale et de faiblesse institutionnelle, générant davantage d’insécurité et de violence. L’Amérique Latine concentre la totalité de production globale de feuille de coca, de pâte base de cocaïne et de chlorhydrate de cocaïne. En outre, elle possède une production de marihuana qui s’étend sur divers pays et zones, destinée tant à la consommation interne qu’à l’exportation. Et, de plus en plus, elle produit du pavot et élabore opium et héroïne.
Selon une étude de la CEPAL*, la zone des Caraïbes continue d’être la voie la plus fréquentée pour le trafic de drogues vers les Etats Unis, mais la route du Pacifique, passant par l’Amérique Centrale, a gagné une importance relative. Dernièrement le transport fluvial a pris de l’importance, depuis les pays producteurs de cocaïne à travers le Brésil. La marihuana, suivie de la pâte base de cocaïne, du crack et du chlorhydrate de cocaïne sont les drogues illicites à plus forte consommation dans la région.
La production de drogues illicites en Amérique Latine a été caractérisée par l’expansion ou le déplacement continu des zones agricoles qui leur étaient destinées. De grandes populations de paysans et d’indigènes se sont incorporées aux cultures illicites du narcotrafic, et cette situation se maintient du fait que le rentabilité des cultures autorisées continue d’être négative, tandis que la production de marihuana, de coca et de pavot permet de plus forts revenus économiques. En Bolivie par exemple, au début des années 2000, on estimait, selon la CEPAL, que l’activité liée à l’économie de la coca générait environ 135 000 emplois, ce qui équivalait à 6,4% de l’emploi du pays.
Dans les pays comme la Colombie, le Pérou, la Bolivie et d’autres en moindre mesure, la population indigène et paysanne est utilisée par les narcotrafiquants pour la culture de coca, de marihuana et de pavot, compte tenu de leurs besoins économiques et des problèmes de place de leurs produits sur le marché; dans la forêt haute et moyenne du Pérou, l’état d’abandon et de pauvreté existants, les conditions écologiques et climatiques, l’articulation limitée avec les marchés, la faible rentabilité de la production, la carence d’alternatives économiques et la présence des mafias internationales dédiées au trafic illicite des drogues, ont favorisé une production de coca excédentaire. Ces facteurs prédisposent le producteur agricole à orienter son activité économique vers la culture de coca comme unique option qui lui permette de se procurer les ressources indispensables pour garantir sa survie familiale et collective.
Au niveau local du microtrafic apparait une participation croissante des femmes aux faibles revenus et des mineures, ce qui génère des problèmes judiciaires et pénaux sans précédents. Dans les zones de basse présence ou contrôle de l’Etat, le microtrafic se constitue facilement en stratégie de survie adoptée par les femmes chefs de foyers et même par des personnes du troisième âge aux faibles ressources. De nombreuses personnes aux faibles revenus finissent par abandonner leurs occupations premières du moment que le trafic de drogues leur procure des revenus substantiellement meilleurs. Dans de nombreuses enclaves urbaines d’Amérique Latine, le trafic de drogues génère ou renforce une culture de l’illégalité qui ronge les normes minimales de sociabilité. De cette manière, la violence générée en facteurs politiques et économiques a été renforcée par des violences générées en activités criminelles, spécifiquement par le narcotrafic. C’est une réalité présente, par exemple, dans des villes brésiliennes comme Rio de Janeiro.
La politique de guerre des drogues a échoué. Malgré l’augmentation des confiscations de drogues, malgré la détention de narcotrafiquants et la destruction de grands réseaux, les problèmes associés à la consommation de drogues n’ont pas diminué, et la disponibilité de drogues illicites sur les marchés ne s’est pas réduite. Cette politique accumule une série de contre-effets. Par exemple, parmi ceux-ci, on compte un nombre élevé de victimes en termes de mortalité et de morbidité, sans réduction de la consommation de drogues. Il existe aussi une quantité de « basses politiques » et de politiques pénales parmi la classe politique, les autorités civiles, judiciaires et policières, par effet de corruption. Dans certains contextes existent de sérieux désordres dans les relations politiques internationales, et parfois nationales, comme au Mexique. La répression supposée des drogues a aussi servi de prétexte pour imposer des positions politiques et idéologiques en Amérique Latine.
L’échec de la politique de guerre aux drogues a provoqué le développement d’optiques alternatives. L’utilisation de stratégies de réduction du dommage pour contrôler la demande de drogues dans d’importantes villes d’Europe a accompagné le processus croissant de municipalisation de la question. Dans cette perspective, l’éducation est appelée à jouer un rôle central dans les actions de prévention, en alliant par exemple des actions socioéducatives à la promotion de la santé.
Ceci, en accord avec la définition classique de promotion de la santé, est important (à travers l’éducation), car il est important d’offrir des orientations et des dynamiques aux personnes qui font usage de cette problématique de drogues afin qu’elles-mêmes agissent aussi pour l’amélioration de leur qualité de vie et de santé. Dans ce sens, il s’agit d’une formation qui doit englober les communautés au moyen de stratégies d’éducation populaire et de formation d’éducateurs sociaux.
Il s’agit donc de construire un nouveau paradigme de politiques sur les drogues, lequel s’appuie, entre autres, sur trois prémisses :
- le rejet du type de médecine qui nie le droit de l’individu à disposer de lui-même et de son corps ;
- la dénonciation d’intérêts politiques et idéologiques derrière des actions comme la « guerre contre les drogues » ;
- l’accueil humanitaire des personnes qui font usage problématique des drogues.
Ce sont quelques perspectives pour une nouvelle politique sur les drogues en Amérique Latine qui soit induite par l’éducation et la promotion de la santé.
*CEPAL : Commission Economique Pour l’Amérique Latine et les Caraïbes, (l’une des cinq commissions régionales de l’ONU).
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