(Amy Goodman, 01/12/2018 – Trad.B.Fieux )
« Les personnes de la caravane migrante fuient la misère et les horreurs créées par les Etats-Unis. »
Démocratie tout de suite !
Tandis que le président Trump multiplie les attaques verbales et les menaces contre les caravanes de migrants provenant d’Amérique Centrale qui se dirigent vers la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, le jeudi son gouvernement donnait connaissance de nouvelles sanctions contre le Venezuela et Cuba.
John Bolton, assesseur en sécurité nationale, déclarait que le Venezuela, Cuba et le Nicaragua font partie d’une « troïka de la tyrannie » et d’un « triangle de la terreur ». Pour en savoir davantage sur ce thème, nous allons parler avec Noam Chomsky.
Chomsky, linguiste, enseignant et dissident politique de renommée mondiale, parle de la politique extérieure états-unienne en Amérique Centrale ; Chomsky s’entretient avec nous depuis Tucson, Arizona, où il donne actuellement des cours à l’Université d’Arizona. Il est en outre professeur émérite de l’Institut Technologique du Massachusetts, où il a enseigné durant plus de cinquante ans.
(Déclaration de John Bolton à Miami : « Nous ne chercherons plus à apaiser les dictateurs et les despotes qui sont proches de nos côtes. Nous ne récompenserons pas les pelotons de fusillade, ni les tortionnaires ni les assassins. Nous défendrons l’indépendance et la liberté de nos pays voisins, nous appuierons ceux qui luttent pour la liberté. La troïka de la tyrannie dans cet hémisphère – Cuba, Venezuela et le Nicaragua -, a finalement rencontré un rival à sa mesure. »)
Amy Goodman : Tandis que John Bolton faisait ces déclarations à Miami, Nermeen Shaikh et moi parlions avec le renommé professeur de l’Université d’Arizona. Ses livres les plus récents sont Peu de présents, beaucoup de mécontents,Qui domine le monde? et Requiem pour le rêve americain : les 10 principes de la concentration de la richesse et le pouvoir. Je commence par demander au professeur Chomsky son opinion sur les commentaires de John Bolton concernant l’Amérique Latine.
Noam Chomsky : Ces déclarations me rappellent immédiatement le discours de « l’axe du mal » de George Bush en 2002, quand il précisait les bases pour l’invasion de l’Irak, le pire crime de ce siècle, aux conséquences terribles pour ce pays, et qui généra des conflits ethniques qui déchirent la région. Une énorme atrocité. John Bolton était derrière tout ça. Et en ce qui concerne sa nouvelle troïka, je doute que les États-Unis oseraient faire de même, mais c’est ce qui me vient à l’esprit en l’écoutant.
Il est intéressant de voir que ce délire hystérique surgit en même temps qu’une autre campagne de propagande insolite, lancée par Bolton et ses collègues, au sujet de la caravane de personnes pauvres et vulnérables qui fuient l’oppression sévère, la violence, la terreur et la pauvreté extrême qui résument la vie de trois pays : le Honduras, principalement ; en second lieu le Guatemala, et en troisième lieu le Salvador. Pas le Nicaragua bien sûr, et ces trois pays ont été sous la domination rigoureuse des États Unis depuis bien longtemps, en particulier depuis la décennie des années 80, quand les guerres contre le terrorisme de Reagan dévastèrent particulièrement le Salvador et le Guatemala, et de manière moins terrible le Honduras.
Le Nicaragua fut attaqué par Reagan, mais le Nicaragua était l’unique pays qui avait une armée pour défendre sa population. Dans les autres pays, l’armée c’était les terroristes d’État, qui étaient soutenus par les États-Unis.
En ce moment, le plus grand nombre de migrants proviennent du Honduras. Pourquoi le Honduras ? Ce pays fut toujours terriblement opprimé. Mais en 2009, le Honduras avait un président modéré et réformiste, Manuel Zelaya. L’élite hondurienne, riche et puissante, ne pouvait tolérer cela !
Il y eut un coup d’état militaire qui l’expulsa du pays. Ceci fut condamné dans tout l’hémisphère, à une exception notable : les États-Unis. Le gouvernement d’Obama refusa d’appeler cela un « coup d’état militaire », car s’il l’avait fait, il aurait été obligé par la loi de retirer les fonds militaires au régime militaire, lequel était en train d’imposer un brutal régime de terreur.
Le Honduras devint la capitale mondiale de l’assassinat. Et sous le contrôle de la junte militaire des élections frauduleuses eurent lieu, ce qui fut condamné sévèrement dans tout l’hémisphère et dans la majeure partie du monde, excepté aux États-Unis. Le gouvernement d’Obama fit des éloges au Honduras pour avoir réalisé des élections qui menaient le pays vers la démocratie, etc. Aujourd’hui les gens fuient le misère et les horreurs dont nous sommes absolument responsables.
Ce qui survient à présent est une incroyable farce que le monde regarde avec stupéfaction : des gens pauvres et vulnérables, des familles, des mères, des enfants garçons et filles, fuyant la terreur et la répression, dont nous sommes absolument responsables, et en réponse à cela les États-Unis envoient des milliers de soldats à la frontière.
Les troupes envoyées à la frontière dépassent en nombre les enfants qui fuient.
Et à cela il faut ajouter la vaste campagne de relations publiques qui se réalise, qui fait croire à une grande partie du pays que nous sommes sur le point d’être envahis par des terroristes du Moyen Orient financés par George Soros, et toutes sortes de choses.
Ceci me rappelle d’une certaine façon ce qui arriva il y a 30 ans, en 1985. Peut-être vous en souvenez-vous aussi. Ronald Reagan, chaussant ses bottes de vaquero, déclara à la télévision l’état d’urgence nationale parce que l’armée nicaraguayenne était à deux jours de distance de Harlingen, Texas, pour nous attaquer et nous détruire ! Et cela fonctionna.
Mais la troïka, de même que « l’axe du mal », ce sont ces pays qui n’ont tout simplement pas obéi aux ordres des États-Unis. La Colombie, par exemple, qui a eu le pire historique de violations des droits humains de l’hémisphère durant des années, ne fait pas partie de la « troïka de la tyrannie ».
Tout ceci nous est très familier. Il y a eu durant des années un élément du système de propagande des États-Unis, dans la majeure partie des cas venant de l’extrême droite, mais pas seulement ; cela se produisait depuis bien longtemps, comme une espèce de trait pathologique dans une culture dominante qui devrait être compris, analysé et démantelé.
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