(Source : REBELION – Alerte Amazonienne)
Le 23 août dernier le Congrès péruvien adoptait une loi historique, la “ Ley de Consulta ” qui oblige le gouvernement à une large consultation des peuples indigènes avant de concéder un quelconque territoire aux compagnies extractrices. Cette loi pourrait enfin mettre un terme à une longue série d’interprétations erronées, de duperies et de manipulations réalisées par les compagnies pétrolières envers les peuples amazoniens.
Il existe jusqu’ici, dans l’Amazonie péruvienne, des parcelles exploitables où l’on permet à des entreprises comme Repsol, Pluspetrol ou Perenco d’exporter le gaz et le pétrole grâce à un processus de consentement informel de la part des communautés qui hébergent ces lucratives réserves. Mais quels mécanismes d’acceptation ont été mis en œuvre ? Quelles compensations offertes aux indigènes ? Quel futur leur prépare-t-on ?
Pour répondre à ces questions, une petite équipe de l’organisation “ Alerte Amazonienne ” s’est rendue en juillet 2011 dans la parcelle (Lote) 57 exploitée par Repsol YPF depuis 5 ans. Cette parcelle, entre les ríos Urubamba et Tambo, est peuplée par des communautés Matsiguengas, Yines, Amahuacas et Kakintes. (Ces dernières, isolées dans la montagne à deux jours de route du premier port, ont récemment rejeté les dernières manœuvres de Repsol sur leur territoire.)
Il semblerait que Repsol YPF ait réussi à acheter chacune des personnes directement concernées par la privatisation des terres communales. C’est du moins l’impression de l’équipe de Alerte Amazonienne durant son bref séjour à Nuevo Mundo où Repsol a établi son camp de base. Plusieurs hectares de la communauté ont été clôturés pour y installer un dépôt de combustibles liquides, un aéroport aux vols réguliers, un héliport, un port fluvial et des dizaines de maisons pour loger des centaines de travailleurs.
Ni le bruit ininterrompu du générateur, que l’on entend depuis l’intérieur des salles du centre scolaire, ni les décollages et atterrissages continuels des hélicos qui transportent matériel et personnel au nouveau puits Pozo Kinteroni, ne semblent gêner les personnes rencontrées. “ L’entreprise nous donne du travail ”, est le commentaire unanime dans cette communauté. Avec ses toits de zinc, son éclairage public et ses nombreux édifices de béton, cette communauté est l’une des mieux loties de la zone.
Parmi les compensations, Repsol a construit l’officine communale, avec radio et ordinateurs, service internet et l’unique point d’accueil de la communauté. Le logo de Repsol figure sur toutes les constructions. L’existence prouvée d’énormes poches de gaz dans le Lote 57 a amené Repsol à concevoir un projet ambitieux d’industrialisation de la forêt.Le projet actuel concerne 2360 km2 de forêt de la réserve communautaire Machiguenga, mais on envisage aussi la construction de 22 puits supplémentaires qui s’ajouteront au puits Kinteroni I, ainsi qu’une connexion de gazoducs entre les puits des Lotes 57, 56 et 88.
Mais le développement apparent généré par Repsol-YPF à Nuevo Mundo a-t-il un impact culturel ? Les deux infirmières du poste médical affirment : “ Presque tous les hommes travaillent pour l’entreprise, mais la moitié de leur salaire part en boisson ”. L’équipe d’Alerte Amazonienne déambule dans les rues et remarque en effet des groupes d’hommes autour de caisses de bière. Les responsables de Repsol sont formels : au sein du campement, pas de boisson alcoolisée. Mais quand les ouvriers franchissent la porte à la fin de la journée, ils sont libres. Commentaire d’un commerçant : “ Avec les premiers salaires, ils ont tous acheté un téléviseur et un frigo, question de statut. Mais après, comme ils n’ont pas la pratique de l’épargne, l’attrait de la boisson est de plus en plus fort. ”
Les habitudes alimentaires ont changé. Peu à peu, les gens délaissent leurs arpents de terre et achètent des produits industriels comme des boissons gazeuses, des petits gâteaux, des pâtes… Quant à la pêche, le poisson se fait de plus en plus rare depuis la rupture d’un gazoduc en 2005 : les poissons du río Urubamba ont été détruits et maintenant, avec le passage journalier d’une centaine de bateaux de différentes compagnies pétrolières, les communautés riveraines se plaignent qu’il faut beaucoup plus de temps pour pêcher moins de poisson qu’avant.
L’ONG Prisma réalise un programme financé par la compagnie Pluspetrol et dont l’objectif est de combattre la malnutrition chronique des enfants. Ses activités formatrices s’adressent aux parents et aux enfants. Ses abondantes statistiques montrent que dans les 7 communautés concernées par le projet, la malnutrition chronique affecte un enfant sur 4, et l’anémie 76,6 % de ces enfants. “ Même si les parents dépensent plus d’argent en nourriture, la malnutrition chronique est là, parce qu’une boisson gazeuse remplit le ventre mais ne nourrit pas ”.
Cinq ans de présence de Repsol dans le Lote 57 ont généré des changements rapides dans la vie de la communauté. Les impacts environnementaux se manifesteront avec les accidents et les écoulements qui se produiront inévitablement avec les 23 puits qui sont en projet. La transformation des communautés natives en localités pétrolières produit le paradoxe de l’argent qui engendre la pauvreté. Les hommes de la communauté ont du travail et donc de l’argent. Mais ils n’ont pas de temps pour pêcher ni pour s’occuper de leur terre. L’argent ne garantit pas les soins ni l’alimentation de la famille parce que leurs modèles de consommation et de socialisation sont basés sur l’alcool.
Nous quittons Nuevo Mundo après avoir attendu deux jours sur la plage de la communauté espérant voir arriver un bateau. Enfin un commerçant arrive, il provient de Ivochote, sur la route qui relie la forêt à Cuzco et Quillabamba. Il décharge 250 caisses de 12 bouteilles de bière. A ses va-et-vient s’ajoute celui de plusieurs femmes qui descendent au río, transportant des sacs pleins de bouteilles de bière vides.
Elles les entassent sur le sable en une énorme montagne de bouteilles . “ Chaque semaine je fais ce transport et après moi, trois autres bateaux arrivent, avec la même charge, ” déclare le commerçant. Pour une communauté de mille personnes, dont la moitié sont des femmes et des enfants, les statistiques de consommation sont très élevées.… Nous abandonnons la communauté tandis que le bruit des bouteilles vides se fond avec celui des moteurs d’hélicoptère et de bateaux. Et nous nous demandons si les enfants de cette communauté seront un jour maîtres de leur destin, quand la “ ley de Consulta ” entrera en vigueur.…
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