(www.rebelion.org / InterPressService : www.ips.org)
Par des mesures de sécurité drastiques et des troupes spécialement armées, le Nicaragua livre par terre, par mer et dans les tribunaux une lutte déterminée contre le narcotrafic qui traverse l’Amérique Centrale en direction des Etats-Unis. Mais dans le combat interne, certaines actions lèsent les droits des personnes.
Deux faits divers ont causé récemment une commotion sociale dans le pays. Le premier implique 24 personnes accusées de blanchiment d’argent, de crime organisé et de trafic international de stupéfiant. Les enquêtes policières lient ces faits à la mafia centroaméricaine qui, en juillet 2011, assassina le chanteur compositeur argentin Facundo Cabral au Guatemala.
Cabral mourut quand le véhicule qui l’emmenait à l’aéroport fut criblé de balles par des tueurs à gages. Mais la véritable cible de l’attaque était l’impresario nicaraguayen Henry Fariñas, qui était au volant. Fariñas est le principal accusé du réseau au Nicaragua, et selon l’investigation effectuée dans ce pays, au Guatemala et au Costa Rica, ainsi que par Interpol, l’ordre de l’assassiner aurait été la conséquence du vol d’un chargement de drogues au cartel auquel il appartenait. L’inculpé et ses avocats nient les faits.
L’autre cas qui maintient l’attention dans la presse locale et internationale est le jugement de 18 Mexicains, appréhendés à la frontière du Honduras le 20 août dernier, alors qu’ils s’apprêtaient à entrer au Nicaragua à bord de six véhicules de télévision arborant le logo de la chaîne Televisa, et transportant de faux documents de ce média.
Les autorités indiquèrent que cette bande a traversé l’Amérique Centrale depuis le Mexique à 17 occasions pour acheter des drogues au Panama et au Costa Rica, et qu’elle fut finalement capturée au Nicaragua après une alerte des services d’intelligence. On trouva dans des compartiments secrets des véhicules de la cocaïne et plus de 9 millions de dollars en espèces.
« Les deux cas judiciaires, ainsi que les constantes opérations militaires et policières réalisées durant les cinq dernières années, placent la Nicaragua en tête de la lutte contre le crime international dans la région », a souligné le représentant de l’Institut d’Etudes Stratégiques et Politiques Publiques (IEEPP), organisme non gouvernemental. « Le Nicaragua fait preuve d’une grande efficacité au niveau international, mais du fait de l’ampleur des mafias et de leurs immenses ressources, tout effort que l’on peut faire est malheureusement insuffisant. »
Les chefs de l’armée et de la police proclament que ce pays est le plus sûr d’Amérique Centrale et qu’il est devenu un « mur de contention » du narcotrafic, bien que ces deux forces ne disposent en tout que de 30 000 hommes pour surveiller 280 000 km2, plus les frontières terrestres avec le Honduras et le Costa Rica. Selon les statistiques militaires, entre 2011 et août 2012 le nombre d’opérations réalisées contre le trafic de drogue s’élève à 182 526. Elles donnèrent comme résultats la confiscation de 6,7 tonnes de cocaïne, 93 véhicules et 41 embarcations, ainsi que la détention de 1288 personnes, nicaraguayennes et étrangères.
Aminta Granera, directrice de la Police Nationale, précisa pour sa part qu’entre septembre 2011 et août 2012, 68 opérations avaient été menées contre le trafic international et 12 cellules des cartels mexicain et colombien neutralisées. »Entre 2006 et 2011, précisa-t-elle, et uniquement dans le crime organisé transnational, nous avons saisi 60 tonnes de drogues, 32 millions de dollars en espèces, 1500 armes de guerre, 1234 camions, 18 avions et 168 vedettes ». Dans les années 70, Aminta Granera quitta l’habit de religieuse catholique pour rejoindre la guerilla sandiniste contre la dictature somoziste et se consacra ensuite à la politique pacifique.
Les chiffres officiels témoignent aussi d’une lutte intense contre le trafic interne de drogues. L’opération permanente, dénommée « Coraza Popular » a réalisé 4106 actions entre janvier et août. 3917 Nicaraguayens ont été arrêtés et 85 kilos de drogues saisis (cocaïne, crack, héroïne et marihuana).
Dans le cadre de cette lutte interne contre le narcotrafic, des militants humanitaires ainsi que des experts en matière de sécurité avertissent contre les dérives possibles. Des études de l’IEEPP signalent que huit groupes de narcotrafiquants liés aux cartels colombiens opèrent sur le côte caribéenne du Nicaragua et que sur le Pacifique ce sont les mafias mexicaines, basées à Managua et à Rivas (au sud du Nicaragua). L’isthme centro-américain serait utilisé comme « station service », et ils paieraient avec des drogues l’appui logistique sur leur route du Sud au Nord. Cette méthodologie stimule le marché interne et alimente les réseaux de délinquance.
Pour enrayer cette réalité, la police organise des entretiens dans les quartiers et les écoles de tout le pays pour informer sur le danger des drogues et demander à la population de collaborer à la lutte : marches avec des pancartes, messages anti-drogues s’adressant aux communautés, en même temps que des policiers en civil cagoulés dénoncent les maisons signalées comme débits de stupéfiants. « Ici on vend de la drogue », écrivent-ils sur les murs.
« Si la police sait que dans telle maison on vend de la drogue, elle devrait plutôt arrêter ses occupants et remettre les preuves à la justice ! » remarque un chercheur de l’ONG Réseau de Sécurité et de Défense d’Amérique Latine.
Quant au Directeur de l’ONG Centre Nicaraguayen des Droits Humains, (CNDH), il pense que l’action policière, tant qu’elle n’apporte pas de preuve, viole le principe d’innocence des familles marquées comme narcotrafiquantes : « On viole la propriété privée, l’intégrité de l’enfance et de l’adolescence qui habitent dans ces maisons, en les stigmatisant comme faisant partie d’un réseau de délinquants. On altère le principe d’innocence et surtout, on lèse l’intégrité des personnes et le droit à l’égalité devant la justice ».
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