HONDURAS : Arôme de café (mai 2013)

(Rebelion)

La cueillette du café va prendre fin, nous rendons visite à la finca de Don Tránsito Gutiérrez, située dans le municipio de Corquín, département de Copán. Il y a presque une heure de voiture depuis la ville de Corquín, en passant près de la majestueuse montagne de Celaque.

Le contraste avec le Honduras officiel est plus qu’évident. Dans la finca on respire la tranquillité et la paix, non seulement par l’absence des moteurs et le murmure du río qui accompagne les « chicharras »(cigales), mais aussi par la confiance et l’empathie qui règne entre les familles de travailleurs qui cohabitent dans des maisonnettes  dispersées autour de la finca.

« Comme le peuple ne fait pas la révolution, c’est chacun de nous qui doit faire les changements! »

Don Tránsito Gutiérrez López, communément appelé Don Tancho, 58 ans, est un Hondurien qui a étudié le Droit en Russie. Une fois diplômé, il est rentré à Tegucigalpa pour travailler comme professeur et chercheur à l’Université Nationale Autonome du Honduras. En ressentant dans sa propre chair la corruption et le clientélisme politique dans les entités publiques, il décida progressivement de préparer son retour à sa terre natale de Corquín, et de cultiver  la terre que lui avait  laissée son père.

Il explique succintement les motivations de son retour aux champs et pourquoi il promeut de manière désintéressée le bien-être intégral de ses voisins et des travailleurs, en concluant simplement : « Comme le peuple ne fait pas la révolution, c’est chacun de nous qui doit faire changer les choses … »

Les voisins ont de l’estime et de l’affection pour lui. Ses  travailleurs disent : »il est difficile de rencontrer un patron comme Don Tancho, exigeant, mais juste et préoccupé par le bien-être des familles… »
Don Tancho vit avec sa famille dans une maison simple, sans airs de grandeur, même s’il récolte plusieurs centaines de quintaux de café par an. Il dit : « presque tout ce qu’on gagne est investi pour améliorer la finca, l’exploitation et l’infrastructure. »

Dans cette finca existent des maisons avec des services et des dépendances pour les travailleurs, mais aussi un terrain de foot, un enclos pour les chevaux des travailleurs, une piscine, etc. Il a aussi donné du terrain à certains de ses travaileurs pour qu’ils aient leur terre à cultiver. »Ça les aide à ne pas s’adonner à des vices ni à abandonner  leur famille », précise-t-il.

Devant la menace des coupeurs de bois illégaux, et dans le but de protéger les zones productrices d’eau de la  montagne de Celaque, – qui alimentent les hameaux du lieu et la population de Corquín -, Don Tancho a fait l’effort d’acheter plusieurs dizaines d’hectares de terres dans cette montagne. Ainsi il protège non seulement la forêt et l’eau mais la Vie sous ses différentes formes.

De cette manière, ce professionnel du Droit qui a renoncé à la bureaucratique académie hondurienne, nous enseigne par son témoignage de vie qu’ »un autre Honduras est possible ». Il ne parle pas de socialisme mais c’est un « patron » qui mange et rit avec ses « peones ». Il admire les succès de ses travailleurs. Il porte presque toujours les mêmes vêtements, les mêmes chaussures usées et il  n’a qu’une vieille voiture.

Créer de l’emploi, même avec l’absence de l’Etat et la présence de la rouille.

Le Honduras est devenu l’un des principaux producteurs de café du monde. Avec ses 8 millions de quintaux annuels, le café représente 8,5 % du PIB du pays, dépassé seulement par les « remesas »  (envoi d’argent de l’étranger par les migrants), (10 %).

La particularité du café hondurien est que cette production n’est pas nécessairement sous le contrôle de l’oligarchie : il existe dans ce pays plus de cent mille propriétaires de fincas « cafetaleras » (de café), petites, grandes et moyennes, réparties dans 16 des 18 départements. C’est l’un des rares produits agricoles d’exportation qui peut socialiser les  bénéfices économiques avec la plus grande quantité de personnes, de manière directe ou indirecte. Non par l’action de l’Etat, qui préfère « l’investissement » étranger, mais par l’initiative des entrepreneurs honduriens eux-mêmes.

Cette production dont la brève époque de récolte se situe entre octobre et avril,  occupe plus d’un demi-million de travailleurs au Honduras. Au total,  en Amérique Centrale la récolte du café occupe en moyenne deux millions de travailleurs par an.

Don Tránsito explique : « Au moment de la cueillette du café, on a jusqu’à 150 travailleurs par jour dans la finca, ils proviennent de différentes parties du pays. Un bon cueilleur se fait en moyenne 300 Lempiras ( 15 dollars)  par jour en pleine époque. Le paiement ici n’est pas par journée mais par « dron »  (corbeille de 5 « galons ») de café par jour. Il y a des familles complètes, de 5 à 9 membres, qui  arrivent à gagner jusqu’à 900 Lempiras, soit 45 dollars par jour. »

Malheureusement, actuellement le prix international du café a chuté :  de 337 dollars le quintal en 2011, il est maintenant de 135 dollars environ. S’y ajoute encore la maladie de la rouille, – champignon qui a anéanti 30 % des cafetales du Honduras -, sans aide de la part de l’Etat ni des pays récepteurs de ce produit.

Face aux variations du marché international, des conditions météorologiques et des limites techniques,  les producteurs comme Don Tancho sont obligés  d’affronter seuls ces adversités avec une attitude positive.

Durant notre visite à la finca de Don Tancho, une vingtaine de personnes cueillaient du café vert atteint par la rouille. Notre question : cueillir le café malade, cela vaut-il la peine ? Et Don Tancho: « Moi, au lieu de gagner, je perds ! Mais il faut nettoyer et conditionner l’exploitation pour la production suivante ». Il est certain que la rouille est arrivée dans toute l’Amérique Centrale et y restera tant que les conditions qui l’ont favorisée ne seront pas surmontées.

Quand nous sommes repartis de la finca, les cueilleurs rentraient de leur travail, s’apprêtant  à dîner après avoir joué au foot. A notre question « combien payez-vous pour la location du terrain de foot, de votre logement, pour l’électricité, l’eau ?… » ils répondirent : « Rien. Don Tancho ne nous demande rien ».

Ainsi va la vie dans cette partie du Honduras profond. Tandis que les quotidiens du Honduras officiel annoncent des séquestrations armées, un assassinat toutes les 70 minutes, la militarisation du pays, la violente désintégration sociale, la corruption politique, le chômage chronique, le chaos, l’incertitude…


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