par João Pedro Stedile, membre de la coordination du MST (Mouvement des Sans Terre) et de Via Campesina Brésil.
Dans le cadre d’une marche pacifique, plus de mille paysans organisés par le Mouvement des Sans Terre (MST) cheminaient sur une route qui relie Parauapebas à Marabá le 17 avril 1996. Ils étaient guettés par deux bataillons de la Police Militaire dans une localité de la commune d’Eldorado de Carajás. Un bataillon sortit de Parauapebas et l’autre de Marabá, avec des camions qui bloquèrent la route des deux côtés.
Ainsi débuta un massacre prémédité, exécuté afin d’infliger une leçon à ces « vagabonds venus du Maranhão », comme l’ont exprimé les policiers lors des audiences du procès. Ces derniers quittèrent la caserne sans porter l’uniforme les identifiant, avec des armes lourdes et des balles réelles. Le commando de Marabá avisa les services de secours et l’Institut Médico-Légal (IML) afin qu’ils soient de service…
Le jugement démontra qu’outre les ordres donnés explicitement par Paulo Sette Cámara, secrétaire à la sécurité du gouvernement d’Almir Gabriel, l’entreprise Vale do Rio Doce finança l’opération, assumant tous les frais, parce que la manifestation des sans-terre sur la route empêchait la circulation de ses camions.
L’épisode s’est soldé par 19 morts sur le coup, sans droit à la défense, 65 blessés en incapacité de travail et 2 morts dans les jours qui suivirent. Le leader Oziel de Silva, âgé de 19 ans seulement, fut arrêté, menotté et assassiné à coups de crosse de fusil devant ses compagnons, alors qu’un policier lui ordonnait de crier « Vive le MST !».
Ces épisodes figurent dans les actes du procès de plus de mille pages et furent décrits dans le livre « La Masacre » du journaliste Eric Nepomuceno (Editions Planeta). Au bout de 17 ans, seuls les deux commandants militaires qui étaient reclus dans un appartement de luxe des quartiers de Belén furent condamnés.
Le colonel Pantoja tente toujours de sortir de prison et demande à purger sa peine de 200 ans sous forme d’arrêt domiciliaire. Les autres responsables du gouvernement fédéral et de l’Etat ainsi que ceux de l’entreprise Vale furent déclarés innocents. La justice se contenta de présenter deux boucs émissaires à l’opinion publique.
Impunité des grands propriétaires terriens
Dans tout le Brésil, le scénario est identique : depuis le retour à la démocratie, plus de 1700 leaders des paysans et sympathisants de la lutte pour le droit à la terre ont été assassinés. Seuls 91 cas ont fait l’objet d’un jugement et à peine 21 auteurs intellectuels ont été condamnés.
Le Massacre de Carajás s’inscrit dans la pratique traditionnelle des latifundistes brésiliens, qui avec leurs tueurs à gages fortement armés ou par le biais du contrôle de la Police Militaire et du pouvoir judiciaire, s’approprient des terres publiques et préservent des privilèges de classe, commettant systématiquement des crimes qui demeurent impunis.
Leurs agissements répondent au rapport de forces politiques. Sous le gouvernement de José Sarney, ( de 1985 à 1990 ), face à l’avancée des luttes sociales et de la gauche, ils fondèrent l’UDR (Union Démocratique Ruraliste). Ensuite, ils s’armèrent jusqu’aux dents, au mépris de toutes les lois. C’est durant cette période que furent perpétrés la majorité des assassinats. Les latifundistes poussèrent l’arrogance jusqu’à présenter leur propre candidat à la présidence, Roberto Encalado, qui fut solennellement rejeté par la population brésilienne en obtenant 1% des voix.
Sous les gouvernements de Fernando Collor et Fernando Henrique Cardoso, après la déroute du projet démocratico-populaire et de la lutte sociale qui se concentrait autour de la candidature de Luiz Inácio Lula de Silva en 1989, les grands propriétaires jouirent de leur victoire et utilisèrent leur hégémonie au sein de l’Etat pour contrôler manu militari la lutte pour la terre. C’est durant cette période que se produisirent les massacres de Corumbiara (RO) en 1995 et celui de Carajás.
Lula arriva au pouvoir en 2003, lorsqu’une partie des latifundistes s’étaient modernisés et préférèrent faire alliance avec le gouvernement, malgré le soutien qu’ils avaient apporté à la candidature de José Serra. En échange, ils reçurent le ministère de l’Agriculture. Un secteur plus pernicieux et idéologique résolut de faire une démonstration de force et envoya des signes afin de démontrer « qui commandait en fait à l’intérieur et sur les terres », alors même que Lula avait enfilé la casquette du MST.
Dans ce contexte eurent lieu deux autres massacres, aux accents pervers. En 2004, à peu de kilomètres de Planalto Central, dans la municipalité de Unaí (Minas Gerais), une bande de latifundistes fit assassiner deux fonctionnaires du ministère du Travail chargés du contrôle et le conducteur du véhicule, alors que ces derniers se dirigeaient vers une hacienda dans le cadre d’une inspection relative au travail esclavage. Un des deux propriétaires fut élu maire de la ville pour le PSDB et à l’heure actuelle, le crime est toujours impuni. L’Etat n’a pas eu le courage de défendre ses serviteurs.
Le second massacre se déroula en novembre 2005, dans la municipalité de Felisburgo (MG) lorsque le propriétaire illégal Adriano Chafik décida de venir à bout d’un campement du MST. Chafik se rendit avec ses hommes armés à l’hacienda et dirigea personnellement les opérations un samedi après-midi. Durant l’attaque, ils tirèrent directement sur les familles et incendièrent les baraquements ainsi que l’école. Au total, cinq paysans furent assassinés et il y eut des dizaines de blessés. Après huit jours d’attente, le tribunal judiciaire de Minas Gerais fixa le jugement du propriétaire au 15 mai, à Bello Horizonte. Espérons que justice soit faite.
Les grands propriétaires pervers – qui heureusement ne sont pas la majorité – agissent ainsi parce qu’ils ont la certitude absolue de leur impunité, grâce au pacte qui les unit aux pouvoirs locaux et au pouvoir judiciaire. Ces dernières années, leur attention s’est focalisée sur le pouvoir législatif, où ils soutiennent la dénommée « Bancada Ruralista » par le biais de laquelle ils cherchent à modifier les lois et à se protéger de la législation en vigueur.
Ils ont déjà apporté des changements au Code Forestier et empêchent l’application de la loi qui oblige l’expropriation des terres des grands propriétaires recourant au travail esclavage. Chaque année, la Police Fédérale libère en moyenne deux mille êtres humains du travail esclavage. Toutefois, les latifundistes poursuivent ces pratiques, soutenus par l’impunité du pouvoir judiciaire.
Ils eurent l’audace d’élaborer des projets de loi contraires à la Constitution afin d’empêcher la démarcation des terres indigènes déjà reconnues, de légaliser la location des aires délimitées et de permettre l’exploitation des minéraux existants. Ils ont également présenté des projets visant à entraver l’attribution de titres de propriété des terres des communautés quilombolas.
Une série de projets ont été présentés pour libéraliser l’utilisation de pesticides interdits dans la majorité des pays, répertoriés par la communauté scientifique parmi les substances cancérigènes, et pour empêcher que les consommateurs ne puissent distinguer les produits transgéniques. Pourquoi ne veulent-ils pas étiqueter les produits OGM s’ils garantissent qu’ils sont totalement sûrs pour la santé des personnes ?
La cupidité des grands propriétaires n’a pas de limites. Dans les campagnes, ils ont recours plus fréquemment à la violence physique et aux assassinats. Toutefois, cette avidité a des conséquences directes sur toute la population, dans la mesure où elle permet l’appropriation des terres publiques, l’expulsion des paysans des zones rurales qui vont grossir les favelas et l’utilisation indiscriminée des pesticides qui finissent dans votre estomac et sont cancérigènes. Malheureusement, tout cela est couvert par des médias serviles et manipulant l’opinion publique.
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