(ADITAL octobre 2013)
Devenu l’une des grandes icônes du socialisme en Amérique Latine, l’ex-président Salvador Allende entrait dans l’histoire voici 40 ans, le 11 septembre 1973. Cette date marque le renversement violent de son gouvernement par les militaires, dirigés par l’un des dictateurs sud-américains les plus sanglants, Augusto Pinochet, dont le régime dura 17 ans, et qui assassina durant cette période plus de trois mille personnes.
Selon la Fondation Salvador Allende, le 11 septembre à 7h40 du matin, le Président Allende arriva au Palais de La Moneda. Vers midi le bombardement commença, dirigé par les militaires avec l’appui de la CIA. Allende s’adressa plusieurs fois à son peuple et ses dernières paroles furent : « Travailleurs de ma Patrie, j’ai foi dans le Chili et dans son destin. D’autres hommes surmonteront cette période grise et amère, où la trahison prétend s’imposer. Sachez que tôt ou tard s’ouvriront les grandes avenues où passera l’homme libre pour construire une société meilleure. Vive le Chili ! Vive le peuple ! Vivent les travailleurs ! »
Salvador Allende refusa plusieurs fois l’offre de s’exiler et combattit aux côtés de sa garde présidentielle et de ses plus proches collaborateurs. Dans l’après-midi il se suicida avec une arme que lui aurait donnée Fidel Castro.
Allende, leader de l’Unité Populaire, alliance de la gauche chilienne, avait été élu démocratiquement .en 1970 par plus d’un million de voix. En trois ans il avait réalisé des réformes profondes dans le pays :
Nationalisation de l’industrie minière du cuivre et de la banque :
Le cuivre a toujours été un produit essentiel de l’économie chilienne. Dans les années 70, il représentait les trois quarts de toutes les exportations du pays. Quand Allende arrive au pouvoir, l’Etat ne possède que 51 % des principales mines de cuivre. Le reste appartient à des compagnies états-uniennes comme Anaconda Copper Company, contrôlée par les familles Rotschild et Rockefeller.
En juillet 71, le gouvernement d’Allende, avec l’appui unanime du parlement chilien, nationalise totalement l’exploitation du cuivre. La réaction du gouvernement états-unien est immédiate : « Ce serait une infraction aux pratiques internationales : non seulement cela nuirait au Chili, mais aussi à tous les pays en développement. » Allende nationalise aussi 91 industries de base durant sa première année de présidence, sans oublier la banque.
Réforme agraire : la majeure partie des terres cultivables du Chili étaient des latifundios aux mains d’une poignée de familles. Le gouvernement d’Allende promulgue une réforme agraire qui interdit la possession de plus de 80 ha par personne. En 18 mois tous les latifundios disparaissent. En outre, les paysans, à travers les coopératives, remplacent les représentants des latifundistes dans tous les organismes de l’Etat. Il instaure aussi une assistance technique gratuite pour le monde paysan et des plans de crédit pour les nouvelles coopératives.
Réformes sanitaires, éducatives et sociales. L’université devient gratuite. Le nombre d’étudiants universitaires augmente de 89 % entre 70 et 73. Pour beaucoup de familles pauvres c’est la première fois que leurs enfants peuvent accéder à des études supérieures. Instauration d’un système de bourse pour les enfants d’indigènes (essentiellement Mapuches) qui avaient été discriminés durant des décennies. Programme de Suppléments Alimentaires pour tous les enfants d’école primaire et toutes les femmes enceintes. Augmentation des pensions minimum du double de l’inflation. Instauration de centres de santé dans les quartiers ouvriers avec au moins un centre pour 40 000 habitants.
Toutes ces mesures irritèrent profondément les partisans de droite du pays, les grandes entreprises exportatrices et aussi le gouvernement des Etats-Unis, qui ne voulait pas d’un nouveau gouvernement socialiste, – risque d’un « autre Cuba » -, en Amérique.
Il faut rappeler que le gouvernement des Etats-Unis était derrière tous les gouvernements militaires qui prirent le pouvoir par la force en Amérique Latine dans les décennies 1960-70, parmi eux: le Brésil, l’Argentine, le Paraguay, la Bolivie, le Pérou, l’Equateur et l’Uruguay.
CHILI : « Les conséquences de la dictature chilienne sont d’une cruelle actualité… »
(Extrait d’un texte de Ricardo Parvex, vice-président de l’Association d’ex-prisonniers politiques chiliens en France, septembre 2013.)
« Les militaires n’ont pas seulement renversé le gouvernement d’Allende, ils ont changé radicalement le Chili. Ce sont encore les lois de la dictature qui régissent le cadre institutionnel, économique et social du pays, plus de vingt ans après le retour à la démocratie.
« Le Chili des années 1960 et 1970 était considéré par la plupart des observateurs internationaux comme l’un des – sinon le seul – pays les plus démocratiques de l’Amérique latine. La stabilité politique rythmée par des élections démocratiques et régulières, la présence de l’Etat dans le développement économique, la surveillance protectrice des autorités en matière sociale, la préoccupation des différents gouvernements concernant l’éducation, etc. faisaient de ce pays une exception au milieu de la misère et l’oppression imposées par les dictatures des pays environnants.
« Ce que les militaires chiliens ont réussi à faire, ce n’est pas seulement de renverser un gouvernement qui ne leur plaisait pas, mais d’opérer une véritable révolution qui changea radicalement les relations sociales et de classes dans le pays. Plus de Constitution, plus de code du travail, plus de syndicats ni de partis politiques, plus de liberté de presse et surtout plus de pouvoir législatif ni de Parlement.
Une fois le pays mis au pas, les militaires ont pu faire revenir en arrière l’horloge de l’Histoire et mettre un terme à tout ce qui avait fait du Chili la nation progressiste et démocratique qu’elle était.
Bien que terminée formellement en 1990, la dictature et ses lois continuent à fixer (et figer) le cadre constitutionnel (Constitution pinochétiste de 1980), économique (économie de marché ultralibérale, non régulée et guère contrôlée par l’Etat) et social du pays. Un si lourd héritage a fait du Chili l’un des pays les plus inégalitaires au monde, malgré son important développement économique. Puisqu’aucune des marques imposées par la tyrannie n’a changé, il est normal que, quarante ans après le putsch de 1973, les persistantes conséquences laissées par la dictature sur la vie quotidienne de tous les Chiliens continuent à être d’une cruelle et pesante actualité. »
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