NICARAGUA : La canne à sucre et l’île aux Veuves.

(Bulletin trimestriel « Presente » de l’organisation allemande Christliche Initiative Romero (CIR)
N° 3 de 2013

La Isla (L’île) : un joli nom pour un village nicaraguayen des environs de la ville de Chichigalpa près de León. Pour le visiteur la vue est idyllique : entre les champs de canne à sucre, le cours d’eau et au fond, la chaîne des volcans.

Mais la réalité est différente. La plupart des hommes et aussi quelques femmes contractent une maladie pendant leur travail dans les plantations de canne : ils souffrent d’insuffisance rénale chronique et le nombre des décès dus à cette affection est anormalement élevé. Sept hommes sur dix souffrent de cette maladie. Parmi les habitants du village il n’y a plus d’hommes de plus de 50 ans. C’est pourquoi, depuis quelques années, La Isla est appelé « L’île aux Veuves ».

Au Nicaragua le groupe Pellas est une entreprise internationale dans la transformation de la canne à sucre. Les champs de canne de la région de Chichigalpa appartiennent à Pellas. Les gens sont dépendants de cet employeur depuis des décennies. En raison de leur faible scolarisation et/ou par manque d’alternative les gens de La Isla en sont réduits au travail dans les plantations de canne à sucre de l’entreprise.

Le village de La Isla et ses habitants(e)s ne sont cependant qu’un exemple pour le lien entre canne à sucre et insuffisance rénale chronique. Dans tout le Nicaragua et aussi dans d’autres pays d’Amérique Centrale, l’insuffisance rénale chronique est très répandue parmi les travailleurs et travailleuses des plantations, ainsi que chez les habitants proches.

La cause première en est l’usage constant de pesticides et d’herbicides (dont l’un interdit par l’Organisation Mondiale de la Santé) ainsi que d’engrais répandus sur les champs.

Ces produits sont utilisés fréquemment sans aucune protection et polluent en outre de manière durable l’eau de la région. Le contact permanent avec ces pesticides joint à des conditions de travail inhumaines dans les champs favorise finalement la maladie mortelle : dans la chaleur du Nicaragua, hommes et femmes – et souvent aussi des enfants  –  travaillent plus de 12 heures par jour avec une demi-heure de pause, et ne peuvent étancher leur soif due à la chaleur et au travail physique  qu’en buvant une eau contaminée.

Et que font les firmes  confrontées à la maladie mortelle d’un grand nombre de leurs ouvriers ? Elles veulent ignorer le lien entre pesticides, conditions de travail et maladie. Si des travailleurs tombent malades, ils sont licenciés sans justification et sans dédommagement.

Pour survivre et pouvoir payer les médicaments coûteux du malade, les familles – nombreuses le plus souvent -, n’ont d’autre ressource que d’envoyer leurs fils au travail dans ces mêmes champs de canne qui ont détruit la santé de leur père. Un cercle vicieux mortel.

Seuls quelques travailleurs sont assurés sociaux. Mais l’incapacité de travail en raison de l’emploi de matières toxiques n’est pas reconnue, raison pour laquelle des négociations sont tentées avec le gouvernement et les entreprises.

Malgré tous leurs efforts, souvent les membres des familles ne parviennent pas  à payer, sur la durée, les médicaments onéreux nécessaires à la survie et les dialyses. Et  il n’est pas question d’envisager une transplantation rénale salvatrice…

Certes des travailleurs se sont regroupés en association : l’ANAIRC (Association nicaraguayenne des victimes d’insuffisance rénale chronique) mais jusqu’ici  leurs efforts pour attirer l’attention et  obtenir plus de justice, n’ont guère de succès. Une preuve des liens étroits qui existent entre les intérêts politiques et économiques dans l’industrie sucrière. …

Pour pouvoir agrandir chaque année leurs surfaces de canne à sucre, tous les moyens sont bons aux entreprises : on chasse les paysans, les firmes s’approprient illégalement de grandes superficies, les droits fondamentaux de l’homme sont bafoués.…

Mais pourquoi l’exploitation des travailleurs est-elle si impitoyable dans les plantations de canne à sucre ? La raison en est la forte demande internationale de canne. La polyvalence de cette matière première peut la destiner à la fabrication de sucre comme à celle  de bioéthanol. Elle  intéresse autant l’industrie alimentaire que les carburants, et elle est donc un facteur économique d’importance capitale.

Ainsi le groupe Pellas produit le fameux rhum « Flor de Caña » mais aussi le bioéthanol que nous retrouvons dans nos carburants et qui nous donne bonne conscience quand nous faisons le plein, persuadés d’agir en faveur de l’écologie et d’un développement durable.…

On peut prouver l’intérêt écologique de la canne à sucre, mais les conséquences sociales et sanitaires dont souffre la population  n’intéressent personne, ni les fabricants, ni les consommateurs, ni dans le pays, ni à l’extérieur.

Mais revenons à La Isla. Dans la cour d’école, des hommes jeunes sont assis et discutent : quelles possibilités de métier s’offrent à eux après l’école ? Quelques-uns aimeraient faire une formation chez un soudeur. Tous ont peur du travail dans les plantations de canne.

L’un d’eux explique son angoisse : « Je voudrais bien avoir une copine. Mais pas une fille ne veut de moi. Elles pensent toutes que je vais travailler comme mon père dans les plantations. Elles pensent que je suis un mort vivant… »

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