Interview de César Martínez, enseignant et membre du Syndicat National des Travailleurs de l’Education. (www.rebelion.org)
Quelle est l’origine des luttes en Oaxaca en 2006 et comment se constitua l’Assemblée Populaire des Peuples d’Oaxaca (APPO) ?
Oaxaca a toujours été un Etat très pauvre et miné par les injustices, donc sujet aux manifestations sociales. Entre 2004 et 2010 nous avons eu comme gouverneur de l’Etat Ulíses Ruíz, partisan du PRI et qui déclara durant sa campagne électorale qu’il ne permettrait pas de mobilisations sociales, de blocage de routes, marches, etc. En juin 2006, les enseignants se concentrèrent dans la ville d’Oaxaca (capitale de l’Etat d’Oaxaca) et se réunirent comme d’habitude sur le Zocalo (grande place) d’où ils furent violemment délogés.
Ce fut le détonateur : l’ensemble des organisations sociales de l’Etat, excédées par la politique répressive de Ulíses Ruíz, déclenchèrent une série de manifestations dans la ville. Le Syndicat National des Travailleurs de l’Enseignement, réputé pour sa combativité, convoqua tous les mouvements sociaux, – plus de 360 ! – pour constituer l’APPO. L’APPO exigea la démission du gouverneur. En réalité, dans tout cet Etat, une insurrection civile se développait, occupant les locaux et institutions publiques.
Ces mobilisations furent-elles suivies de répression ?
Effectivement, la prise de pouvoir populaire amena le Gouvernement Fédéral à intervenir en faisant appel à des unités de répression, y compris venant d’autres Etats. Dans les mois qui suivirent on compta 26 assassinats de militants sociaux, sept disparitions et plus de 300 arrestations. A partir de là, une guerre de basse intensité s’est installée de la part du gouvernement qui pratiquait parallèlement une stratégie destinée à diviser et à semer la méfiance parmi les organisations participantes. Des dirigeants d’organisations les plus combatives furent assassinés ou emprisonnés.
La situation a-t-elle évolué avec l’arrivée de Gabino Cué comme gouverneur de l’Etat d’Oaxaca ?
Il a été nommé gouverneur par une coalition de plusieurs partis politiques et les gens ont d’abord pensé qu’il pourrait punir d’emprisonnement les méfaits de Ulíses Ruíz, qui vit actuellement à Mexico en contact avec les partisans du PRI. Mais la situation n’a pas changé.
Dans une telle situation, pouvez-vous envisager de reconstituer l’APPO ?
Malgré la situation de répression et d’assassinats, nous avons réussi à constituer depuis le mois de mai le Front Unique de Lutte (FUL) avec 176 organisations, jusqu’à présent. Nous continuons à appeler les autres à l’unité. Le FUL organise en novembre un congrès durant lequel il est possible que l’APPO se réorganise et définisse une stratégie pour l’immédiat.
Que penser de la détention des cinq militants sociaux qui sont toujours en prison de haute sécurité depuis le mois de mai?
Le FUL et les enseignants réclament la liberté de ces compañeros prisonniers. Ils sont innocents, leur détention est une opération gouvernementale contre nos organisations en résistance. Au Mexique on peut accuser quelqu’un d’un délit, la justice n’existe pas, elle est au service du pouvoir. Les compañeros détenus ont subi toutes sortes d’humiliations et de violations de leurs droits. Par des tortures et des méthodes avilissantes, on leur a fait signer des auto-inculpations au sujet d’une séquestration à laquelle ils n’ont pas participé.
Les enseignants dans leur ensemble se mobilisent contre la Réforme Educative qui a été approuvée par le Gouvernement Fédéral. En quoi consiste cette réforme ?
Ce qu’ils définissent comme « réforme éducative » n’est qu’une réforme du travail mise en place après les recommandations de l’OCDE. On cherche à privatiser l’éducation et par cette réforme on retire les droits et les garanties aux enseignants, en essayant d’éliminer la capacité de négociation collective et de supprimer le syndicat National des Travailleurs de l’Education. A partir de maintenant, toute personne sans emploi ayant une quelconque formation peut occuper un poste d’enseignant après un examen préalable. Imaginez-vous un avocat, un vétérinaire ou un médecin sans travail, ayant fait certaines études mais sans formation pédagogique, se retrouver devant une classe ? Le « maitre d’école »a une vocation et une formation pédagogique. Il a étudié, il sait jouer, chanter, danser avec les enfants. Il est souvent un guide, un animateur dans la communauté où il vit. C’est d’ailleurs pour cela que l’Etat n’a pas pu venir à bout de ce secteur, l’un des plus revendicatifs du pays, un mouvement qui compte 33 années de lutte. Le maitre est une personne engagée dans sa communauté. Par exemple, il faut faire une route et pour cela demander une autorisation : c’est le maitre qui l’écrit.
Avec le retour du PRI au pouvoir, toute une série de réformes néolibérales ont été prises par le gouvernement de Enrique Peña Nieto ?
Le gouvernement actuel porte atteinte à des droits sacrés qui figurent dans la Constitution de notre pays : le droit à l’éducation, gagné grâce à la révolution mexicaine, est remis en question ; le pétrole qui a été nationalisé sous le gouvernement de Lázaro Cardenas pourrait être à nouveau privatisé à travers la réforme énergétique, de même que l’énergie électrique. C’est déjà fait avec TELMEX, (compagnie de télécommunications), qui était une entreprise nationale et qui a été transférée à l’homme le plus riche du monde, le multimillionnaire Carlos Slim.
Quelles sont les perspectives pour le futur proche ?
Les gens ne se laissent plus faire, les enseignants de Veracruz sont en grève totale, de même que ceux du Chiapas, de Oaxaca, du Quintana Roo ; actuellement il y a 22 Etats en arrêt d’activité.
Dans l’isthme de Tehuantepec, ici dans l’Etat d’Oaxaca, on est en train d’introduire des entreprises espagnoles, danoises, japonaises et chinoises, avec des mégaprojets énergétiques malgré l’opposition des communautés affectées. Pour cela on a réformé l’article 27 de la Constitution, ce qui permet le fractionnement des terres communales. Mais il y a des communes qui ne laissent pas entrer les multinationales sur leurs terres, ce qui génère des conflits et la répression de l’Etat contre les dirigeants locaux.
La richesse minière est une autre source de conflit avec le gouvernement fédéral : dans l’Etat d’Oaxaca, qui est très riche en uranium, en argent et en or, on prétend installer une exploitation minière à ciel ouvert, à San José del Progreso, au profit d’une multinationale canadienne. Cette exploitation génère inévitablement une pollution dans les cours d’eau et dans l’environnement en général. Déjà deux compagnons ont été assassinés dans cette lutte, mais la résistance à l’exploitation minière n’a pas diminué pour autant.
En résumé, le peuple mexicain ne permettra pas que Peña Nieto, qui était gouverneur au moment du massacre d’Atenco, impose ses projets de type néolibéral sans luttes ni conflits. La répression s’accentuera mais les résistances également.
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