(Lettre d’information du Collectif Guatemala n° 208, mai 2014)
« On me punit parce que je ne me plie pas au système ». C’est ce que dénonçait la juge Yassmin Barrios après que le Tribunal d’honneur du Collège d’avocats et notaires du Guatemala ( CANG) se soit permis de la suspendre de ses fonctions alors qu’il n’en avait pas les compétences. Un an après avoir condamné Rios Montt pour crimes de génocide et crimes contre l’humanité, la Présidente du Tribunal de Haut Risque était la cible de quelques-uns des souscripteurs au « pacte d’impunité » dont l’existence au Guatemala ne fait plus aucun doute depuis le fameux procès. Le CANG est revenu sur sa décision par la suite. Mais le mal était fait. Yassmin Barrios, attendue fin mai en France par le Collectif Guatemala et d’autres organisations de défense des droits humains pour se mettre au vert et rencontrer des personnalités politiques et associatives pour la soutenir, a dû annuler sa venue afin de se défendre.
Telle est la stratégie pour perpétrer l’impunité au Guatemala. Calomnier, injurier, diffamer jusqu’à ce que les personnes visées renoncent. Comme l’ont dénoncé publiquement les représentants de la Commission Internationale de Juristes (CIJ), un véritable travail d’attaque systématique des fonctionnaires incorruptibles et indépendants opère sans plus se cacher depuis mai 2013.
La juge Barrios paie son impartialité au service de la Justice, une attitude qui dérange depuis sa participation aux procès emblématiques des assassins de Monseigneur Gerardi, assassiné deux jours après la publication du rapport sur les crimes commis durant le conflit armé: « Guatemala nunca más », et de Myrna Mack, anthropologue guatémaltèque, fervente défenseure des droits des communautés mayas.
Toutes les attaques sont permises. Francisco García Gudiel, avocat de Rios Montt, donnait le ton dès le début du procès. Pour parler de la Présidente du Tribunal devant lequel il défendait son client, il injuriait: « Je la hais, je ne la supporte pas, je ne l’aime pas (…) cela me donne la nausée de la voir. »
Autre cible de choix pour les chantres de l’impunité, la Procureure Générale Claudia Paz y Paz. Son mandat a été raccourci, en toute illégalité, et a pris fin le 17 mai 2014. Défenseure des droits humains, ayant travaillé à l’élaboration du rapport « Guatemala nunca más », elle s’est fait remarquer au plan international, notamment des Etats-Unis, pour son travail à l’encontre du crime organisé.
Elle affiche à son palmarès plusieurs arrestations de barons de la drogue et a résolu des affaires opaques liées au narcotrafic, comme le massacre de 27 paysans à la finca Los Cocos dans le Petén en 2011.
Malgré son bilan hors pair contre les narcos, auquel s’ajoutent des réformes dans le système judiciaire ayant permis des avancées considérables, entre autres le jugement pour génocide, Claudia Paz y Paz a accepté de jouer le jeu et s’est présentée, le 23 avril 2014, devant la Commission de Postulation au poste de Procureur Général. Elle a obtenu la 2e meilleure note, et pourtant, elle n’a pas été retenue dans la liste finale des 6 candidats présentés au Président Pérez Molina qui, le 16 mai dernier, a choisie la magistrate Thelma Aldana.
Tollé général au sein des organisations de défense des droits humains. Mais rien ne vaut. D’ailleurs le nouveau président de la Cour Constitutionnelle (CC), Roberto Milina Barreto, qui avait fait partie des juges s’étant prononcé en faveur de l’annulation du procès de Rios Montt, a défendu dans son discours d’investiture, le 24 avril, les décisions de la CC qui ont conduit à l’annulation du verdict de génocide, la fin du mandat de Claudia Paz y Paz 9 mois avant terme, la limitation des interpellations des membres du Congrès et le caractère non contraignant des Consultas Communitarias sur les industries extractives.
Le pacte d’impunité continue de couvrir les tortionnaires, entravant sans cesse les efforts et les espoirs des victimes, des survivant(e)s, des familles, et des défenseur(e)s.
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