COLOMBIE : Paysans sans alternative à la culture de coca.

(Noticias Aliadas, juillet 2014)

Dans l’impossibilité de commercialiser leurs productions alimentaires, les agriculteurs cultivent de la coca pour survivre.

Le Catatumbo est un coin de Colombie dans le département nord de Santander, frontalier avec le Venezuela, utilisé comme corridor par le narcotrafic international et où la violence des paramilitaires a coûté la vie à onze mille personnes entre 1999 et 2004.

En juin 2013 vingt mille cocaleros ( cultivateurs de coca) ont bloqué les routes pendant 53 jours et les affrontements avec l’ESMAD (escadron mobile anti-émeutes) ont causé la mort de quatre paysans. Les agriculteurs demandaient au gouvernement de financer des solutions alternatives aux plantations de coca, une substitution concertée des plants et la création d’une Zone de Réserve Paysanne, structure juridique qui garantit des droits importants aux agriculteurs, comme la formalisation de la propriété terrienne.

Pour les paysans du Catatumbo, cultiver la coca n’est pas un choix mais une obligation. Jusqu’à la fin de la décennie 1980, beaucoup semaient ou plantaient des espèces alimentaires, mais l’éloignement des villes rendit impossible la commercialisation de leur production, et le mauvais état des routes rendait le prix du transport vers les marchés plus élevé que le gain de la vente.

L’Etat n’a jamais proposé d’autre choix que la culture de coca, dont les acheteurs venaient jusqu’à la porte des fincas : les paramilitaires des Autodéfenses Unies de Colombie (AUC) et les guérilleros des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) et de l’Armée de Libération Nationale (ELN).
La situation des paysans du Catatumbo empira avec l’entrée en vigueur des traités de libre commerce avec le Canada (2011) et les Etats-Unis (2012), pays qui subventionnent leur secteur agricole en permettant de vendre leurs produits sur le marché colombien à un prix inférieur au prix local. La chute du prix des légumes coïncide avec l’augmentation des cultures de coca dans le Catatumbo.
Accords non tenus.
Selon le guide des Cultures de Coca 2013 du Bureau des Nations Unies contre la Drogue et le Délit (UNODC), communiqué le 26 juin dernier, la Colombie a 48 000 hectares de coca, la même quantité qu’en 2012. Dans certaines régions sa culture a diminué mais dans d’autres elle a augmenté, comme dans le Catatumbo où l’augmentation fut de 41,6 %. Selon l’UNODC, la surface productive estimée dans la région est de 5604 hectares, et la production moyenne de feuilles de coca fraiche, qui était en 2009 de 13,8 tonnes, a atteint en 2013 la quantité de 30,8 tonnes.

Le gouvernement n’a pas tenu les engagements pris avec l’ASCAMCAT, (Association Paysanne du Catatumbo) après la mobilisation de juin 2013, et les cocaleros ont décidé de se joindre au débrayage agraire débuté en mai 2014 sur tout le territoire national.
« Nous continuons d’exercer la pression pour que s’ouvre un espace national permettant d’avancer dans la discussion sur toute la problématique paysanne. »

Ce ne sont pas les paysans qui empochent les profits, de la production de coca jusqu’à la vente au détail de la cocaïne, mais ils peuvent être emprisonnés par la loi 30 de 1986, – qui classe comme délit les cultures illicites -, et ils sont exposés aux conséquences des aspersions aériennes avec le glyphosate Roundup Ultra, herbicide produit par Monsanto afin d’en finir avec les plants de coca. Ces fumigations sont prévues par le Plan Colombie, accord bilatéral avec les Etats-Unis pour la lutte contre le narcotrafic en vigueur depuis 2000.

La Colombie est le seul pays au monde qui pratique des fumigations des cultures illicites sur une superficie qui atteint annuellement plus de cent mille hectares. Cette pratique persiste malgré une sentence du Conseil d’Etat du 11 décembre 2013 qui établit que les aspersions violent le principe de précaution prévoyant la suspension des activités humaines dont les risques sont prouvés.
Romaira, une paysanne cocalera du Catatumbo déclare : » Il y a 14 ans ils ont aspergé mon terrain avec leurs avions, après leur troisième passage j’ai cessé de planter de la coca… On se sent mal après la fumigation, j’avais des picotements dans tout le corps ».
S’attaquer à l’offre mais non à la demande ?
Les problèmes dermatologiques causés par les aspersions ont été démontrés dans une enquête réalisée en 2012 par le Centre d’Etudes sur la Sécurité et les Drogues (CESED) de l’Université des Andes, à Bogotá, enquête réalisée par Daniel Mejía Londoño, directeur du CESED et une universitaire, Adriana Camacho. Cette enquête révèle aussi que dans les zones d’aspersion il y a un taux plus élevé d’avortements, et d’autres travaux montrèrent également des effets négatifs sur l’environnement et sur la confiance des personnes dans les institutions qui pratiquent ces fumigations.

Une autre stratégie pour venir à bout de ces cultures est leur éradication manuelle, qui en 2012 concerna plus de trente mille hectares.
« L’éradication manuelle a un coût élevé : de nombreuses personnes y ont trouvé la mort à cause des mines anti-personnelles cachées par les FARC ou par les paramilitaires, dénonce Daniel Mejía, et même si c’était une stratégie efficace, je ne vois pas pourquoi tant de Colombiens devraient mourir pour diminuer la quantité de cocaïne qui parvient aux Etats Unis et en Europe. Ce serait transférer tout le coût aux pays producteurs. »

Le 16 mai dernier, le président Juan Manuel Santos et les FARC ont annoncé la signature, dans le cadre des conversations de paix, d’un accord sur les cultures illicites, qui ne prendra effet que si on parvient à un consensus sur les autres points de l’agenda.

 » Aux élections présidentielles du 25 mai dernier, Santos a été réélu parce qu’il est dans le processus de paix. C’est pourquoi les secteurs démocrates l’ont soutenu… Il est le représentant de la droite traditionnelle colombienne, et son élection était préférable à celle du candidat uribiste Zuluaga. Mon unique espoir est que le peuple colombien ait la capacité de faire pression pour que ce processus de paix se termine de manière cohérente ».

 

 

 

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