( D’après l’article de Orseta Bellani, publié par Adital – 27/05/2015 – Trad. B. Fieux)
Le champignon qui dévaste les champs de café du Chiapas permet à la multinationale Nestlé de changer de culture selon ses intérêts. L’épidémie est utile pour les plans de Nestlé.…
Antonio López Jiménez désigne son plant de café qui n’ a presque plus de feuilles. « C’est la rouille » se lamente-t-il en montrant des taches jaunes sur la plante. Jusqu’en novembre 2013, la plus grande préoccupation d’Antonio était de rencontrer des acheteurs de café qui lui permettraient d’éviter les intermédiaires, et d’obtenir ainsi un meilleur prix pour sa production. Aujourd’hui tout a changé pour cet indigène maya, dont le pire cauchemar est la rouille orangée, un champignon qui a dévasté 80 % des « cafetales » ( champs de café) de café arabica de la coopérative qu’il a fondée avec 200 familles en 2010.
L’invasion de ce champignon signifie une grave menace pour l’économie locale du Chiapas, l’une des régions les plus pauvres du pays. 88% des habitants vivent en situation de pauvreté, et la vente du café est une source de revenus indispensable pour pouvoir subsister. Depuis 2011, le prix du grain arabica a chuté de presque 60 %, et les trois millions de paysans qui en vivent craignent pour leur futur. De plus, sans argent, les « cafeteros » (cultivateurs de café) ne peuvent guère investir dans l’entretien de leurs plantations , ce qui favorise l’extension de l’épidémie.
50 % des cultures de café du Chiapas sont affectées par la rouille orangée. Et le même problème affecte les Etats mexicains de Veracruz et de Oaxaca, où les autorités régionales ont réclamé au gouvernement fédéral de déclarer la situation d’urgence. Mais le gouvernement nie la gravité de la situation : « le problème de la rouille n’affecte que 10 % des cafetales, il n’y a ni épidémie ni urgence », affirme le directeur du Secrétariat de l’Agriculture, tandis que le Service National de Santé et Qualité Agroalimentaire soutient que « la rouille orangée est la maladie la plus destructrice du café ». Dans neuf municipios du Chiapas le champignon affecte de 20 à 63 % des champs de café. Et dans le Veracruz, 19% des plantes sont contaminées.
« Ce qui manque au Mexique, c’est un plan centralisé et national contre l’extension de la rouille. Jusqu’à présent, nous n’avons eu aucune réunion avec le gouvernement, dénonce Fernando Celis, assesseur de la CNOC (Coordination Nationale des Organisations Cafetaleras ). Mais des actions locales ont été mises en œuvre qui incluent une répartition des ressources publiques en accord avec ceux qui font pression », avertit Celis.
Et c’est là que surgit la polémique, parce que tous ne sont pas perdants avec l’invasion de la rouille orangée. L’inertie gouvernementale amène les producteurs et les institutions locales à s’allier avec des entreprises comme Nestlé. La multinationale suisse répartit dans le Veracruz des plantes et des produits chimiques pour combattre l’épidémie et bientôt elle commencera à opérer dans l’Etat de Guerrero.
Nestlé distribue du café de qualité « catimor » qui apparemment résiste à la rouille. Depuis 2010, à travers le Plan Nescafé, l’entreprise d’alimentation répartit des caféiers d’une variété dénommée « robusta ». Il s’agit d’un grain de café de qualité médiocre qui croît aussi à moins de mille mètres d’altitude. Ce produit s’utilise pour l’élaboration de café soluble et il résiste à la rouille.
« Dans certaines zones où on peut produire les deux variétés, les producteurs se sont efforcés de substituer au café arabica des plants de robusta » explique Emilio Díaz, responsable de l’approvisionnement en café chez Nestlé.
La substitution des cultures est une bonne nouvelle pour la Compagnie suisse, qui a au Mexique l’entreprise de traitement du café le plus grande du monde. Du fait du faible volume de production de robusta au Mexique, la multinationale doit importer ce café de l’étranger, avec les frais que cela représente. C’est pourquoi elle a lancé le Plan Nescafé. « Grâce à cette stratégie, en 2020 nous pourrions en finir avec les importations et être autosuffisants avec le robusta d’ici cinq ans », affirme Díaz.
Cependant, la production de robusta comporte différents problèmes. En se développant comme monoculture, elle cause de graves impacts environnementaux et génère peu de bénéfices pour les producteurs. « Le prix du robusta est environ la moitié de celui de l’arabica, et cela ne convient pas aux agriculteurs », explique Domínguez, du Secrétariat de l’Agriculture. C’est pourquoi les programmes gouvernementaux impulsés par cette institution « vont appuyer les plants d’arabica et non de robusta, qui représentent seulement 3% de la production nationale », insiste-t-il. Ainsi, en 2010 le Secrétariat de l’Agriculture, en accord avec le Conseil Mexicain des Organisations de Producteurs de Café, décida de ne pas s’impliquer « dans la promotion des programmes de robusta des entreprises transnationales ».
Mais cet accord n’est pas respecté. Malgré ses engagements et ses déclarations, le Gouvernement du Mexique participe activement au Plan Nescafé, et appuie même économiquement les producteurs de robusta à travers le programme Trópico Humedo. Ce plan attribue 300 euros par hectare aux agriculteurs qui cultivent le robusta, alors que les cultivateurs d’arabica – qui sont 97 % des caféiculteurs du pays – reçoivent seulement 79 euros.…
La Colombie investit dans la recherche.
Le 3e plus grand producteur de café du monde ne s’est pas non plus libéré de la rouille orangée. Au nord du pays, la région de Eje Cafetero a constaté l’arrivée de la rouille en 2008. 55,3 % de la superficie destinée à l’agriculture sont occupés par le café, d’où la gravité du problème. Cette même année, le gouvernement a entrepris un processus de rénovation des cafetales, qui comportait la plantation sur 50 000 hectares de plants jeunes, et de variétés arabicas résistantes à la rouille.
« En Colombie, gouvernement et entreprises ont réagi à l’épidémie en investissant dans la recherche. Ils ont aussi facilité aux producteurs de café l’accès aux crédits », explique Antoine Libert, de l’Université Autonome Métropolitaine (UAM) Xochimilco de Mexico. Cette alliance entre gouvernement et entreprises n’existe pas au Mexique. « Il existe des départements et des bureaux gouvernementaux qui se consacrent à l’agriculture mais ils le font de manière indépendante et isolée. Il y a peu de coordination sur ce thème dans le secteur public », déplore cet expert.
Un fléau né en Asie.
En 1867, les paysans de Ceylan découvrirent un champignon inconnu jusque là, qui détruisit complétement leurs cafetales. Il s’agissait de l’Hemileia vastatrix, nom scientifique de la rouille orangée, qui aujourd’hui menace les plantations de café dans la moitié du monde.
Après l’attaque vorace du champignon, les agriculteurs de cette colonie britannique remplacèrent leurs champs de café par des cultures de thé, et bientôt l’île devint le premier exportateur de thé du monde. Mais la rouille orangée continua sa propagation imparable. Le champignon s’étendit vers le sud-est asiatique, et de là il passa à l’Océanie et l’Afrique.
Un siècle plus tard, en 1970, il arrivait en Amérique Latine à travers le Brésil. En 1981, les cafetales du Mexique étaient déjà infestés par ce fléau. Depuis lors, la rouille s’est emparée de l’écosystème cafetero américain. Les conditions anormales d’humidité et de température, conséquences du changement climatique, ont aidé à la propagation qui est devenue aujourd’hui une authentique épidémie.
L’origine de l’actuelle invasion de rouille orangée se situe au Guatemala en 2010. Dans ce petit pays centro-américain, la rouille a détruit 70 % des cultures de café. Le Pérou et la République Dominicaine ne se sont pas non plus délivrés de ses effets destructeurs.
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