(Programme des Amériques, 16 septembre 2015)
19 juillet 1979 – Ometepe est la plus grande île du lac Cocibolca, le grand lac du Nicaragua. Avec l’archipel de Solentiname, tout au sud du lac, ces noms ont été fameux au début des années 80. L’aube se levait alors sur le Nicaragua exsangue libéré de la dictature des Somoza. Le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) et son gouvernement pluraliste ouvraient un vaste chantier : alphabétisation, réforme agraire, coopératives, écoles, centres de santé… étaient réalisés grâce à la participation populaire enthousiaste, malgré le lourd héritage de la dictature et les entraves des Etats-Unis.
Dans le domaine de la culture, ce fut le début d’une période d’explosion de la parole, de l’éveil artistique, d’intense création populaire dans tous les domaines. Le peuple nicaraguayen retrouvait son identité culturelle méprisée pendant des siècles. Cette quête culturelle s’exprime particulièrement dans les œuvres des peintres dits « primitifs » et des « ateliers de poésie », en particulier à Solentiname. Soutenus par Ernesto Cardenal, alors ministre de la culture, « ces peintres et ces poètes issus du peuple sont l’aube d’une renaissance du Nicaragua ».
Juillet 2015 – Ometepe, île paradisiaque, 35 000 habitants et deux volcans pas trop méchants, accueille en moyenne 50 000 touristes par an… et au moins dix millions de tonnes de plastique, selon les chiffres des organisations écologiques de l’île. Jusqu’à un passé récent, les déchets finissaient dans les rues, les ruisseaux, les arrières-cours…Quand il pleuvait, le courant les entrainait vers le lac, ou bien on les brûlait à ciel ouvert…
Puis tout commença en 2007. María vit à la télévision que des personnes qui recueillaient les déchets dans les décharges de Managua se bagarraient entre elles pour le contenu de leurs sacs pleins de bouteilles en plastique, en verre et de choses en métal. Que pouvaient bien valoir ces déchets puisqu’on en arrivait à se battre pour eux ? se demanda-t-elle. Elle vivait dans une grande pauvreté, ou plutôt survivait avec ses deux fils, cultivant une petite parcelle de terre communale et effectuant des travaux occasionnels.
Elle en parla à une voisine, qui lui dit qu’à Moyogalpa, principale ville de l’île, une organisation achetait les bouteilles de plastique, le verre, les métaux. Elles apprirent que dans leur entourage, quelqu’un achetait les matériaux que lui envoyaient les hôtels et après les avoir lavés, les envoyait à Managua pour la vente. Alors elles se lancèrent dans une nouvelle activité : munies d’un grand sac, elles partaient à pied et parcouraient de longues distances en récupérant tous les déchets qu’elles trouvaient, dans tous les coins de l’île.
Puis d’autres voisines les imitèrent, partant le matin à bicyclette ramasser les choses jetées par les touristes. Elles vendaient leur récolte à un récupérateur de matériaux. « Ça ne fait pas beaucoup d’argent mais ça me paie quand même les repas, et peu importe le temps que nous y passons, puisque nous n’avons pas d’autre emploi ». Voir les femmes courir les routes en ramassant des déchets qu’elles mettaient ensuite dans de grands sacs devint une scène courante.
Myriam, qui faisait partie d’une petite ONG, la « Fundación entre Volcanes », décida d’aider ces femmes « recycleuses », d’abord en leur fournissant du matériel de sécurité et d’hygiène, puis en les invitant à des formations sur le maniement des déchets, le traitement du matériel et aussi l’utilisation diversifiée des déchets, non seulement pour les commercialiser mais aussi pour apprendre à réaliser artisanalement des choses nouvelles avec ces matériaux, et les vendre aux touristes.
D’autres institutions admiratives devant leur travail, voulurent aussi les aider. La mairie d’Altagracia mit à leur disposition un espace pour stocker et trier les déchets. Des entreprises touristiques, qui auparavant séparaient les déchets pour les vendre, décidèrent de les donner à ces femmes, et des entreprises de services et d’alimentation apportèrent équipement et assistance.
Le travail du groupe avait atteint un tel degré de solidarité et de coopération que la mairie obtint un financement pour doter les femmes, pendant un temps, d’une rémunération de presque deux dollars par jour, et de la gratuité du transport pour leur matériel jusqu’au quai d’où partent les bateaux pour la ville de Rivas. Ensuite le transport s’effectue par la route jusqu’à Managua, 120 km.
Francisca raconte qu’au début, « c’était gênant que les gens nous voient ramasser des ordures », mais après quelques séances sur l’environnement et la création de micro-entreprises, elle admit qu’elle faisait quelque chose d’important et que se résigner à la pauvreté était pire que de contribuer à nettoyer son environnement.
Elles rencontrèrent Karen, allemande d’origine mais de nationalité nicaraguayenne, directrice de l’organisation communautaire « Educación Medio Ambiental de OMETEPE », qui travaille avec les enfants et adolescents de l’île pour des campagnes de conscientisation écologique. Quand elle connut les « recycleuses », elle motiva les étudiants et les enseignants de l’école à appuyer ce travail, et organisa dès lors des journées de nettoyage et de collecte de déchets qu’on donnait ensuite aux femmes.
La mairie de Moyogalpa parvint, avec l’aide de l’Union Européenne, à améliorer les décharges publiques des deux villes insulaires. Maintenant toutes deux ont des galeries où se traite la matière organique, des récipients pour la lombriculture, afin de faire de l’engrais organique, des récipients pour l’eau et une fosse pour produire du compost.
Malgré tout, l’effort commun et la solidarité ne suffirent pas à les maintenir unies. Quelques-unes se fatiguèrent de ce travail et abandonnèrent l’association. L’effondrement du prix du pétrole fit baisser la valeur des déchets et les gains diminuèrent. Plusieurs femmes revinrent à leur travail précédent : combiner les récoltes saisonnières et les services domestiques. Mais quand certaines s’en allaient, d’autres venaient à leur tour. « Nos familles nous encouragent et nous sommes enthousiasmées », confiait une participante. « Nous avons l’appui municipal et celui de l’Union Européenne, nos conditions de travail vont s’améliorer ».
Peu à peu, la population approuva cette initiative, et se rendit compte que Ometepe, réserve de la biosphère, méritait des efforts pour garder son aspect « paradisiaque », son image de paix et de beauté si attirante pour les touristes de tout pays, comme pour la population. L’élan était donné pour une « révolution verte »…
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