(Camila Vollenweider, Amilcar Salas Oroño, et Ava Gomez,
CELAG (Centre Stratégique Latinoaméricain Géopolitique)
12/04/2018 – Trad. B. Fieux)
Pourquoi cet homme est-il en prison ? Si, jusqu’à présent, il était un homme d’Etat exemplaire, un exemple pour la région et pour le monde – la revue Time lui dédia en son temps une couverture élogieuse. Les chefs d’entreprise brésiliens et étrangers se frottaient les mains lors de ses interventions : « quel homme d’une grande sagesse, quelle capacité d’articulation des intérêts », « juste ce dont le Brésil a besoin, davantage dans ce pays, avec toutes les différences qu’il y a ». Les médias traditionnels publiaient sans les escamoter les indices élevés de sa popularité, ils l’invitaient à leurs réceptions, mettaient ses meilleures photos en première page; la classe politique l’imitait et l’accompagnait en bloc. Lula savait qu’il pouvait former une autre société, un autre pays, un autre Brésil, une autre idée du Brésil, : « je suis une idée, une idée mêlée à vos idées » disait-il avant de se rendre. La trêve avec lui dura quelques années, mais ils sont revenus à la charge parce qu’ils se sont rendu compte de ce que Lula signifiait :
– Que la richesse du pétrole peut être pour le peuple. S’il y a un moment de cassure dans la relation de Lula avec les Etats-Unis et autre pays centraux, c’est lorsque les marchés régulatoires de l’exploitation du pétrole dans les zones de pre-sal se sont modifiés. Coïncidence : à partir de 2010 toute cette « sympathie » pour Lula commence à décliner. Avec les découvertes des gisements, le Brésil allait devenir l’un des principaux exportateurs du monde, et déterminer les prix des cours. Entre 2003 et 2014, Petrobras fit un saut qualitatif sans précédent dans l’industrie de cette branche et réussit à financer le plus important plan d’exploration du pétrole du monde ( en dollars US : 224 000 millions pour la période 2010-2014).
– Que la politique peut modifier l’inégalité raciale. Il n’est pas impossible de modifier l’inégalité raciale dans un pays comme le Brésil (après l’Afrique, le Brésil compte la plus forte population noire du monde); cela requiert de la constance et de l’audace dans les mesures à mettre en œuvre. Cela nécessite le développement d’une pédagogie culturelle (Lula, dans chaque acto, dans chaque conversation publique, plaçait ce point dans le contenu de ses messages ) : le marché du travail est compliqué par l’héritage d’un passé colonial; de nouveaux concepts institutionnels, (comme le Secrétariat des Politiques de Promotion de l’Egalité Raciale et le Statut de l’Egalité Raciale); et une batterie de politiques publiques qui empêchent la reproduction d’une dialectique historique soutenue dans les espaces sociaux de développement personnel avec des distinctions pour les Blancs et pas pour les Noirs, les mulâtres et les métis (comme le Pro-Uni, système de bourses pour éudiants, qui a permis un changement substantiel de la possibilité de l’Université pour tous.)
– Que l’on peut faire de la diplomatie solidaire et multipolaire. Avec lui, c’en est fini des relations diplomatiques délicates et précautionneuses
avec les pays décideurs, et désintéressées et abusives avec les pays les plus pauvres. Avec Lula c’est la solidarité qui s’est développée comme principe de lien entre les Etats, comme avec la Bolivie au moment de la nationalisation des hydrocarbures, comme avec le réseau d’accords qui s’est établi avec les pays africains, les échanges avec Cuba, parmi tant d’autres mesures. Lula a promu la création de l’UNASUR et ensuite, quand le Brésil a intégré les BRICS * et que le pays s’est converti en acteur fondamental de la géopolitique mondiale, l’irritation est devenue insupportable pour certains, à la seule vue de la figure de Lula…
– Qu’on peut en finir avec la faim. La faim : Un des problèmes clés dont Lula a fini par venir à bout. Le programme Bolsa Familia est internationalement reconnu pour avoir obtenu qu’approximativement 29 millions de personnes parviennent à sortir de la pauvreté et ainsi la classe moyenne constitue 51% de la population. Durant cette période, (2004-2014) la pauvreté se réduisit de 60% et la pauvreté extrême de 75%. Selon les calculs effectués par le prestigieux Instituto de Pesquisa Economica Aplicada (IPEA), si le Brésil avait suivi sur ce rythme et cette extension de la politique sociale, en quelques années il aurait atteint les indices de pauvreté propres aux pays développés.
– Que quelqu’un qui vient du peuple peut être un excellent administrateur. Il n’est pas certain que le Brésil ne puisse être gouverné que par ses élites, bien au contraire. Lula, cet homme qui n’avait pas de diplôme et ne parlait pas anglais, a fait, en termes d’économie, la meilleure présidence de l’histoire brésilienne : il a réussi à stabiliser l’économie, ce qui a permis une croissance à un rythme annuel moyen de 4,1%, de payer toute la dette du pays avec le FMI et réduire le taux de chômage qui est passé de 10,5% en décembre 2002 à 5,7% quand il a terminé ses mandats.
Lula signifie toutes ces choses, parmi beaucoup d’autres. Ils lui ont accordé une trêve pour quelques années jusqu’à ce qu’ils se rendent compte de ce que Lula avait réalisé et de ce qu’il peut encore réaliser.
* BRICS est un acronyme anglais pour désigner un groupe de cinq pays qui se réunissent depuis 2011 en sommets annuels : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.
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