(Irma Rosa Martinez Arellano – 31 octobre 2018 – Trad. B. Fieux et résumé)
José Angel Alvarado bavardait avec sa cousine Nitza devant la maison de ses beaux-parents, dans le village de Buenaventura au nord de l’Etat de Chihuahua, quand un commando de militaires les arrêta. Cette même nuit, d’autres militaires enlevèrent aussi la nièce des deux premiers, Irene, dans son propre domicile. Ceci se produisit le 29 décembre 2009, et plus jamais on n’entendit parler d’eux. Les trois personnes qui disparurent dans cette famille font partie du total de 37 435 personnes(dont 1 861 enfants) que le gouvernement comptabilisa entre 2007 et avril 2018. Le chiffre pourrait être encore plus élevé car de nombreux cas ne sont pas dénoncés.
Pour le cas de José, Nitza et Irene, le gouvernement mexicain est soumis à justice par la Cour Interaméricaine des Droits Humains (CIDH). C’est la première fois (depuis les cas de l’époque appelée de la Guerre Sale,dans la décennie 70, où des centaines de Mexicains impliqués dans la guerilla disparurent) que le Mexique est sur le banc des accusés, maintenant dans le contexte de la guerre contre le narcotrafic.
José vit à présent dans la ville de Mexico où il s’est réfugié après avoir reçu des menaces répétées de mort pour avoir exigé justice pour ses deux frères, un cousin et deux collaborateurs, enlevés par la mafia dans l’Etat de Guerrero, l’un des Etats les plus pauvres du pays.
Tous résidaient dans la ville de Chilapa, ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment : cette localité est au troisième rang parmi les municipios violents, selon une étude réalisée par le Conseil Citoyen pour la Sécurité Publique et la Justice Pénale. Chilapa est la porte de sortie pour la gomme d’opium produite dans la sierra et dans la montagne de cette zone du Guerrero.
Peu après, grâce à différents indices et renseignements, la famille réussit à savoir où se trouvaient ses membres victimes de séquestration, mais la police refusa d’aller les chercher « de crainte » de déclencher un échange de balles qui aurait fait de nombreux morts. Ce fut du moins l’argument des autorités…
Ce fait, malheureusement, n’était pas isolé. Deux semaines plus tôt, un commando militaire avait exécuté un groupe de supposés coupables d’une séquestration, et deux mois auparavant 43 étudiants d’Ayotzinapa avaient disparu, dans ce même Etat de Guerrero. Ce dernier évènement tragique eut une répercussion internationale et l’investigation que fit le gouvernement fut soumise à une analyse,puis disqualifiée par un groupe spécial avec l’appui de la CIDH (Commission Interaméricaine des Droits Humains). Les 43 étudiants ne sont pas réapparus et les familles n’acceptent pas la version officielle selon laquelle un groupe de narcotrafiquants aurait incinéré les jeunes et se serait débarrassé des restes en les jetant dans le rio. Comme toutes les familles de disparus, les familles de ces victimes exigent que les 43 réapparraissent en vie…
Tout le Mexique serait une fosse clandestine…
Certains de ces 37 435 disparus pourraient se trouver parmi les corps qui furent déterrés dans 1 307 fosses clandestines enregistrées par l’institution chargée de la défense et protection des Droits Humains au Mexique, la CNDH (Commission Nationale des Droits Humains). Dans ces fosses et surtout grâce au travail des collectifs de familles des disparus, on a retrouvé 3 926 corps. Il y a moins d’un mois on trouva dans l’Etat de Veracruz une dernière fosse, où se trouvaient 166 crânes. La situation est telle qu’il a fallu approuver une loi en matière de disparition forcée, établir un registre…
Pour donner une idée de la tragédie que vivent des milliers de familles mexicaines et centroaméricaines (migrants qui traversaient le Mexique pour se rendre aux Etats-Unis) le Groupe de Travail sur la Disparition Forcée de Personnes,de l’ONU, a eu connaissance d’un total de 56 363 cas relatifs à 112 Etats, avec lesquels il a établi la communication et sollicité leur attention.
La cause : l’utilisation des forces armées dans la lutte contre le narcotrafic.
Selon Santiago Corcuera qui fut président de ce Groupe de Travail, l’origine de cette vague de disparitions se trouverait dans la guerre que l’ex-président Felipe Calderon entreprit contre le narcotrafic en 2006, en lançant les Forces Armées dans les rues pour des tâches de sécurité publique.
« A la fin du gouvernement du président Vicente Fox, il n’y avait pas de disparus contemporains. Son gouvernement avait été très permissif et on n’enregistrait pas de disparitions. Mais en 2008 tant de cas commencèrent à arriver au Groupe de Travail que les membres s’en alarmèrent : le Mexique signalait bien plus de cas que tout autre pays »,se souvient Corcuera.
Tous les rapporteurs de l’ONU et tous les organismes de droits humains sont arrivés à la conclusion qu’en prenant la décision erronée d’utiliser les Forces Armées pour les tâches de sécurité publique, on a provoqué une spirale de violence.
Le gouvernement d’Andrès Manuel López Obrador (AMLO), au pouvoir depuis décembre dernier, a généré une grande expectative parmi les milliers de familles des disparus. Il a ordonné la réalisation de diverses rencontres dans différents endroits du pays, pour entendre les réactions de la population face à l’inaction du gouvernement précédent. La future administration s’est engagée à agir.
Toutefois la principale cause des disparitions ne disparaîtra pas dans l’immédiat : les Forces Armées ne se retireront pas des rues tant que des policiers nouvellement professionnalisés ne seront pas en mesure d’être actifs. L’impunité est le facteur fondamental qui permet à cette triste situation de perdurer : « Si tu fais disparaître une personne, il n’existe pas de conséquences dans ce pays »…
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