Publié par Alencontre le 23 mars 2019
Betilda Muñoz-Pogossian
Selon le portail Migration Data, 50,7% du total des migrant·e·s entre pays en 2017 en Amérique latine étaient des femmes, et 49,3% des hommes. Tandis que ces pourcentages varient de région en région, et selon les années, pour ce qui est des femmes vénézuéliennes qui émigrent, les chiffres correspondent à cette proportion. Par exemple, dans le cas de la Colombie, qui concentre la plus grande partie de l’émigration vénézuélienne, en 2018, sur le total des 1’032’016 émigrés vénézuéliens, 51,8% étaient des femmes tandis qu’environ 48,1% étaient des hommes.
Cela montre le changement du rôle des femmes dans les processus migratoires. Elles semblent désormais constituer l’avant-garde de la migration, avec leurs conjoints qui les rejoignent plus tard. Elles démentent aussi la vision traditionnelle selon laquelle les femmes vénézuéliennes attendent que leurs maris ou compagnons émigrent d’abord, réussissent à s’établir, et font venir leur famille une fois que la situation de l’emploi et du logement s’est stabilisée. Les femmes vénézuéliennes qui prennent la tête des processus migratoires démontrent leur courage et leur détermination de chercher une vie meilleure pour elles-mêmes et pour ceux qu’elles aiment. Cela mérite notre admiration et notre soutien.
Être migrants place automatiquement les gens dans une situation de vulnérabilité: nouveau pays, nouvelles habitudes, besoin d’un travail, d’un logement. Mais c’est encore accru pour les femmes qui sont exposées à des vulnérabilités supplémentaires juste parce qu’elles sont femmes. En fait, les mêmes inégalités auxquelles sont confrontées les femmes dans nos pays d’origine, et dans la société en général, continuent dans les processus de migration et une fois qu’elles s’établissent quelque part. «Pas d’accès à des salaires justes et égaux, discrimination de genre, violence contre les femmes et harcèlement dans la rue, stéréotypes de genre et des rôles sociaux, ainsi que le manque d’accès aux droits reproductifs et sexuels» sont juste quelques-uns des facteurs auxquels les femmes sont confrontées une fois qu’elles s’établissent dans leur nouveau pays.
Mais il y a plus encore
Si nous considérons l’âge des émigrés vénézuéliens dans la région [Colombie, Brésil, Pérou, Equateur, etc.], nous trouvons que leur âge moyen est de 31 ans. Les femmes vénézuéliennes, contraintes à émigrer, et particulièrement les plus jeunes, sont la proie idéale des réseaux de trafics de personnes.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations/IOM-OIM, du nombre total des victimes de trafics d’êtres humains en 2014 (la dernière année pour laquelle des chiffres sont disponibles), les femmes et les jeunes filles en constituaient la majorité, soit 71%. Malheureusement, la part des enfants parmi les victimes détectées a passé de 13% en 2004 à 28% en 2014. Mais, à nouveau, ce sont les filles qui sont en général la majorité de ces enfants. Ce fléau fait des femmes et des enfants des victimes de l’exploitation sexuelle, du travail forcé, de mariages forcés, du prélèvement d’organes, de la pornographie, des adoptions illégales, entre autres.
Cette réalité répandue partout, est présente dans notre région, près de chez nous, et touche des femmes qui émigrent du Venezuela. CEPAZ (Centro de Justicia y Paz, l’ONG vénézuélienne de défense des valeurs démocratiques, de la culture de la paix, et des droits humains, particulièrement des femmes) a pris l’initiative de produire un rapport sur les processus d’émigration vénézuéliens dans une perspective de genre, en appelant à prêter plus d’attention aux situations qui voient des femmes vénézuéliennes souffrir des vulnérabilités doubles et triples. Pour en citer quelques-unes, dans leur étude à paraître ils documentent que:
- 43% des femmes vénézuéliennes prises en compte dans l’étude ont entre 18 et 29 ans, ce qui les expose à des discriminations pour leur âge et leur sexe, stigmatisés dans certains pays comme «provocants».
- Les femmes, les adolescentes et les jeunes filles vénézuéliennes sont exposées durant leur migration à des prétendus examens médicaux exigeant qu’elles soient nues, ou à des relations sexuelles forcées avec un chauffeur de camion en échange d’un «transport», entre autres formes de violence.
- La stigmatisation spécifique des femmes vénézuéliennes comme objets sexuels criminalise leur migration. Elles sont perçues comme la cause d’une augmentation de l’infidélité des hommes dans les pays d’accueil et même comme appartenant à de réseaux de prostitution.
Si nous ajoutons à cela le fait de ne pas avoir accès à un passeport ni à des possibilités de régularisation rapidement accessibles, leur situation est encore plus vulnérable. Il est temps d’agir.
(Source : Publié dans Caracas Chronicles, en date du 8 mars 2019, traduction A l’Encontre)
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