L’héritage de Pinochet
(Source : www.prensamercosur.com.ar )
Article de Roberto Aguirre – traduction B. Fieux
Pinochet est mort. Les quotidiens ont consacré des dizaines de pages à l’événement tandis que les rues entraient en effervescence. Certains célébraient au champagne la mort du général tortionnaire et assassin, tandis que d’autres pleuraient la mort d’un général différent, le paternaliste “ modernisateur du Chili ”.
Ceci nous amène à une conclusion : Pinochet est mort, mais son héritage demeure. L’un des dictateurs les plus pervers d’Amérique Latine a été terrassé par une crise cardiaque, mais sa “ structure de la terreur ” persiste. Car les idées, parfois, survivent aux hommes. Il y a en elles quelque chose qui s’enkyste dans l’imaginaire collectif et qui s’installe dans le sens commun.
C’est cette persistance des idées qui explique, par exemple, la présence de jeunes parmi ceux qui pleuraient le dictateur. La “ structure de la terreur ” se reproduit d’une génération à l’autre en mettant en marche tout un système de significations engendrées par la peur.
Le décès de Pinochet a accentué des contradictions qui mettent en évidence cette “ structure de la terreur ” : d’un côté les “ pinochettistes ” récalcitrants qui envahissent les rues dans la crainte que le général emporte avec lui les vestiges de la société militarisée, et de l’autre ses détracteurs qui fêtent la mort de l’assassin et du violeur des droits fondamentaux. Les deux tendances témoignent de la permanence de la “ structure de la terreur ” : les uns parce qu’ils sont protégés par elle, les autres parce qu’ils tentent de la déraciner pour toujours.
La Présidente du Chili, Michelle Bachelet, a réagi avec modération face à l’événement, bien qu’elle ait été elle-même victime de tortures durant les années de plomb de Pinochet. Mais elle reconnaît l’existence de la “ structure de la terreur ” et ne souhaite pas aggraver les divergences qui ont amené à des affrontements entre sympathisants et détracteurs du général.(…)
Mais le peuple chilien a démontré durant les années de démocratie que sa conscience historique est plus forte que l’oubli. C’est pourquoi il a entrepris une lutte pour la vérité et la justice, et a appuyé massivement la procédure de jugement de Pinochet accusé de crimes contre l’humanité. En même temps il a combattu la “ structure de la terreur ” en démontant ses mécanismes pervers et en dénonçant sa violence coercitive et symbolique. Ainsi les concentrations massives voulaient-elles célébrer, au-delà de la mort de Pinochet, le commencement de la chute de ses idées.
Le geste de Michelle Bachelet refusant de décréter le deuil national fut significatif. C’est aussi une preuve que les institutions chiliennes se libèrent peu à peu de cette “ structure de la terreur ”. Il reste à espérer que celle-ci laisse place à un état démocratique, pluriel et populaire. Mais même si le Chili est en marche vers la vérité et la justice, il ne faut pas oublier le proverbe : “ le chien est mort mais la rage n’est pas vaincue ”.